La laïcité est devenue une “culture”, c’est-à-dire un rapport spécifique au monde, une manière particulière de regarder et comprendre les gens et les choses. Au cours du siècle dernier, en France, cette culture a accompagné et renforcé la reconnaissance des droits des femmes, notamment celui de disposer de leur corps. Ce corps féminin que les différentes traditions religieuses n’en finissent pas d’accaparer.
L’interdiction de la burqa
Le choix de s’habiller comme on le souhaite est intime et personnel certes, mais il revêt toutefois des limites. Pour donner un exemple, en France, on n’a pas le droit de se promener tout nu dans la rue. Récemment, le préfet de police de Paris a interdit une manifestation naturiste à vélo ! Autre limite à la liberté de se vêtir : l’interdiction de dissimuler son visage dans l’espace public, sauf pour le carnaval et les bals costumés, ou encore le masque lorsqu’il est conçu pour se protéger et non pour se cacher, comme lors d’une pandémie. C’est pourquoi la burqa a été interdite en 2010 dans la rue, les marchés, les hôpitaux, les universités, et plus généralement, dans tout l’espace public qui est celui de la vie en société. Vivre à visage découvert fait donc partie des “exigences minimales de la vie en société”. C’est ce qu’a affirmé la justice française comme européenne.
Le visage, qui compose notre être, nos expressions, notre personne. Il donne accès à l’altérité. Je te regarde, tu me regardes. Je vois celle qui me regarde. “Celle” qui me regarde. J’emploie ici le féminin car il n’y a qu’au cinéma, dans la comédie de Riad Sattouf, Jacky au royaume des filles, que les hommes portent la burqa. Dans la vraie vie, elle ne vise que les femmes.
L’abaya, un vêtement comme les autres ?
Ses promoteurs, dénonçant le retour de la “police du vêtement”, ont affirmé que l’abaya était simplement un vêtement. Un vêtement comme les autres. Faudra-t-il désormais justifier la longueur de nos jupes ? Or, précisément, tous les habits ne sont pas équivalents dans leur fonction. Certains vêtements, outre la protection qu’ils offrent au corps, en sont-ils pas aussi porteurs d’un message ? Imagine-t-on un supporter arborant un maillot du PSG en jurant qu’il défend l’OM ?
Il est vrai qu’il a existé dans le passé des contraintes pesant sur certains vêtements. Par exemple, jusqu’au début du XXè siècle en France, les filles n’avaient pas le droit de porter de pantalons. C’était comme prendre l’autorité des hommes. Mais depuis, justement, les femmes ont fait leur révolution, elles peuvent dorénavant porter des pantalons, courts ou longs, larges ou moulants, à taille haute ou basse. Suivant leur choix !
Pour l’abaya, ce sont les élèbes qui en portaient – et non l’Etat – qui l’ont qualifiée de “vêtement religieux”, relayés par des influenceurs sur les réseaux sociaux. Comble de la contradiction, certains porteuses d’abaya ont saisi la justice pour la faire autoriser à l’école en dénonçant une atteinte à leur liberté… religieuse tout en soutenant qu’elle est “un vêtement comme un autre”. Derière cette rhétorique, les défenseurs du port de l’abaya ont finalement eux-mêmes démontré qu’il ne s’agit que de manifester une appartenance religieuse dans les établissements scolaires. Hors de l’école (et des autres services publics pour les agents), le droit ne dit rien sur ces vêtements, l’abaya ou sur le simple voile qui relèvent, bien sûr, de la liberté de chacune de le porter. Il en est d’ailleurs de même pour un homme qui souhaite porter un turban shik, une kippa, un kesa bouddhiste ou une soutane.
Certains femmes se voilent par conviction religieuse. Un choix qu’il s’agit bien sûr de respecter. L’Etat n’a pas à interférer, comme l’a suggéré l’extrême-droite pour l’interdire dans la rue.
Femmes laïques, femmes impudiques ?
La laïcité, c’est aussi la question du corps. Du corps dans l’espace public. Nous entretenons tous, avec notre corps, une forme de pudeur, c’est-à-dire de réserve, parfois teintée de gêne et de complexes. Mais qu’est-ce que la pudeur et l’impudeur ? Une femme vêtue d’un jeans et de baskets ou d’une jupe est-elle nécessairement impudique ? S’il faut voiler, pourquoi pas aussi les hommes ? En réalité, tous ces questionnements nous rappellent que depuis l’Antiquité grecque, la pudeur est présentée comme une vertu féminine.
Ils nous montrent que l’obsession du corps féminin dans l’interprétation des grands monothéismes – le judaïsme, le christianisme, l’islam – en fait un objet de tentaion, instrumentalisant la pudeur comme un outil de domination des hommes sur les femmes, et de séparation des sexes. Il présuppose que la femme est tout entière sexualité, et doit être cachée.
Or, la pudeur est une attitude nourrie par des sentiments subjectifs bien plus complexes, ne concernant d’ailleurs pas que les femmes, mais aussi les hommes. Elle renvoie à notre intimité, à nos secrets, à la délicatesse vis-à-vis de ce que l’autre souhaite ou non partager. C’est pourquoi l’Etat laïque nous laisse au contraire libres sur ce plan. En dehors du cas extrême consistant à montrer ses attributs sexuels en public, le désir et la sexualité des hommes comme des femmes sont des affaires privées. Ils ne concernent donc plus la vie en société. En cela, la laïcité n’est-elle pas l’amie des femmes et de leurs droits ?
La laïcité, un bouclier contre l’intolérance et l’obscurantisme religieux
Se prémunir et lutter contre l’intolérance religieuse, c’est l’une des raisons d’être de la laïcité. Dans ce modèle de liberté, la séparation du politique et du religieux a permis de faire évoluer les droits des femmes, et de rendre naturelle la mixité entre les femmes et les femmes. Encore une fois, il ne s’agit pas de questionner les motivations de quiconque à pratiquer sa religion, ni celles des femmes à se voiler. Mais aujourd’hui, les pratiques religieuses qui obligent au voilement, à la production d’un “certificat de virginité” prénuptial, dans certains traditions extrêmes à l’excision, heurtent nos standards. Pourquoi ?
Parce que la liberté religieuse, comme toute liberté, se concilie toujours avec d’autres droits. Elle prend tout son sens lorsqu’elle s’inscrit dans l’évolution d’une société. La nôtre a heureusement progressé sur le plan de l’égalité. Entre les hommes en général, et entre les sexes. Progrès dans le respect du corps humain, de la dignité, dans la protection des jeunes filles et des enfants en général, bref autant de droits conquis au prix de longues batailles… C’est aussi grâce à ces évolutions que le mariage homosexuel a été autorisé par la loi en 2013 malgré l’opposition farouche de toutes les religions, notamment les catholiques.
Surtout, des groupes radicaux aux conceptions rigoristes s’emparent des femmes et de leurs corps pour les placer sous leur autorité implacable. Pourquoi accepter un tel recul, se demandent certains ? Pas si simple. Le voile révèle en effet un conflit entre deux pratiques de la même religion, avec, parfois, une emprise exercée par une minorité intégriste sur les Françaises musulmanes. C’est l’histoire d’Anissa en 2019, 19 ans, tailladée et défigurée en pleine rue à Toulouse pour une tenue vestimentaire qui ne convenait pas. C’est l’histoire de la jeune Samara en 2024, que des jeunes ont battue presque à la mort pour s’être habillée à “l’européenne”. On peut s’accorder sur le fait que, dans ces circonstances, se voiler n’est plus alors une liberté mais une obligation. Une obligation pour ne plus être importunée par sa communauté.
Justement, les principes de la République servent ainsi à permettre à celles, désireuses de s’émanciper, de pouvoir le faire. A les protéger de l’assignation à une identité qui enferme dans une case à jamais, fermée à clés pour toujours. Car rappelons-le, la liberté religieuse, c’est la liberté de croire un peu, beaucoup, passionnément, ou pas du tout. Et même de changer d’avis au cours de la vie.
La laïcité donne la liberté du pas de côté ! Les femmes Afghanes n’en bénéficient malheureusement pas. 28 millions ont été bannies de l’espace public, ne pouvant plus aller à l’école, ni travailler ou sortir seules. Comme emmurées vivantes.
Aujourd’hui, la laïcité est prise en otage. Elle se retrouve dévoyée à des fins xénophobes par les uns, par haine de la République ou de l’Etat par les autres. Il y a ceux qui la voudraient “ouverte” ou “conciliante”, reprochant à certains de mener une laïcité “de combat” ou trop “intransigeante”… mais il est impératif de se raccrocher au droit pour y voir clair : la laïcité garantit la liberté de conscience et de culte. Elle repose sur la non-discrimination et assure l’égalité des religions. La laïcité n’est donc pas contre les religions. Il faut la protéger parce qu’elle ouvre un espace où on peut s’instruire et s’élever sans oeillères, et ainsi librement faire des choix pour nos vies.
Il faut la défendre car elle rend possible le vivre ensemble en donnant corps à notre devise : Liberté, Egalité, Fraternité. Mais elle reste un chemin difficile, une ligne de crête. Comme un autre personnage de la mythologie grecque, Ulysse, on navigue avec la laïcité dans une voie étroite, entre Charybe et Scylla, les deux monstres qui veulent tuer le héros. Deux créatures s’en servant à des fins racistes ou qui veulent la détruire par intégrisme religieux.
Ne perdons pas de vue que la laïcité fait partie de l’ensemble de nos libertés. Elle n’existe pas toute seule mais fait partie d’un tout avec l’égalité entre les femmes et les hommes, la liberté d’expression, le droit de disposer de son corps et de recourir à l’IVG, le droit à l’éducation et tous les autres conquis. A l’image d’un château de cartes, il s’agit d’un subtil équilibre. Retirez une seule de ces pièces et l’édifice s’écroule, tout entier. A nous de protéger de toutes nos forces ce bien précieux, ce phare qui nous permet de coexister pacifiquement avec nos différences !
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