« La décision de la ministre d’État, ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, en date du 22 avril 2025, proclamant les résultats de l’élection des représentants des élèves des lycées et des établissements régionaux d’enseignement adapté fréquentant les classes des niveaux correspondant à ceux des lycées au Conseil supérieur de l’éducation […] portant nomination au Conseil supérieur de l’éducation (NOR : MENJ2512266A) est suspendue. »
- Tribunal Administratif de Paris, Juge des référés, 8 juillet 2025, n°2517338
Ce mardi 8 juillet, le tribunal administratif de Paris fait tomber l’annonce comme un couperet : l’élection lycéenne au Conseil supérieur de l’éducation est suspendue.
Après la victoire (historique) de l’association “Les Lycéens !”, qui avait remporté jusqu’ici les 4 sièges au CSE (habituellement partagés avec l’association Renouveau Lycéen), trois organisations – Renouveau Lycéen, L’Alternative Lycéenne et l’Union syndicale lycéenne – ont déposé un recours commun. Ce dernier, d’abord rejeté par la Direction des affaires juridiques du ministère, a finalement été validé par le tribunal administratif. Cette débâcle, tout autant historique, marque un tournant majeur pour la démocratie lycéenne et remet en jeu les sièges au Conseil supérieur de l’éducation. Mais alors… comment en est-on arrivés là ?
Une campagne mouvementée
Lancée le 17 mars dernier, la campagne électorale pour le CSE a rapidement fait l’objet de nombreuses critiques, tant de la part des candidats que des électeurs.
Pour rappel : seuls les titulaires et premiers suppléants élus au Conseil académique de la vie lycéenne (CAVL) peuvent être éligibles et/ou électeurs. Ces élus sont répartis selon les académies du territoire (Versailles, Paris, Grenoble, etc.).
Cette année, 15 listes — composées chacune d’un binôme titulaire fille-garçon et d’un suppléant — se sont présentées. Parmi elles, six appartiennent aux principales organisations lycéennes : Les Lycéens !, Renouveau Lycéen, l’Union syndicale lycéenne et L’Alternative Lycéenne (alliée de l’USL).
Les sept autres listes, dites « indépendantes », souvent marginalisées, expriment un sentiment d’« injustice » face à ces grandes organisations. Pour tenter de remédier à cette situation, certaines organisations ont tenté d’approcher ces listes indépendantes pour les rallier à leur cause et gagner ainsi des voix supplémentaires…
Mais, d’après des témoignages recueillis par Le Lycéen, des menaces, des intimidations et des propos rabaissants auraient été proférés à l’encontre de certains candidats. Ces tensions ont entraîné une vague de plaintes, accentuant la crispation au sein de la campagne.
Par ailleurs, lors du Grand Débat organisé par notre journal, qui visait à instaurer un dialogue équilibré entre les représentants des différentes organisations, plusieurs moments de tension ont marqué la campagne. En effet, lors du direct, de nombreuses attaques et critiques dans les commentaires ont entaché la réputation de certains candidats, qui ont voulu, à plusieurs reprises, porter plainte. Ces derniers ont notamment dénoncé la diffusion illégale de conversations privées entre candidats, utilisées pour appuyer certains arguments.
Le reste de la campagne a également été marqué par des accusations de plagiat, mais surtout par un non-respect du silence électoral la veille du scrutin. En effet, un communiqué publié par “Les Lycéens !” conjointement avec des listes indépendantes dénonçait les affiliations politiques de certains candidats la veille du vote. Des actions qui, selon le juge des référés du tribunal administratif de Paris, « ont eu un impact sur le déroulement des opérations électorales, sur la sincérité du scrutin et sur la répartition des sièges. »
Un passé qui dérange : “Avenir Lycéen” n’a pas dit son dernier mot
Mais pour bien comprendre ce qui a explosé en 2025, il faut revenir à ce que beaucoup appellent encore aujourd’hui le plus grand scandale de la démocratie lycéenne : l’affaire Avenir Lycéen.
Créée en 2018, l’organisation a longtemps été perçue comme le syndicat lycéen proche de l’ancien ministre de l’Éducation Jean-Michel Blanquer, largement soutenue financièrement par l’État… avant que tout ne bascule. En novembre 2020, Mediapart révélait des malversations financières, des dépenses injustifiées et des comportements opaques, le tout financé par une subvention publique de 65 000 euros.
Mais ce que l’on sait moins, c’est que certains anciens dirigeants d’Avenir Lycéen n’ont jamais vraiment quitté la scène. Pire : ils l’auraient préparée en coulisses.
Dans une enquête publiée le 20 janvier 2021, Mediapart dévoile que plusieurs figures d’Avenir Lycéen, notamment Gaëlle (ancienne présidente du syndicat) et Franck (cofondateur et militant des Jeunes avec Macron), ont participé à la création d’un nouveau mouvement, qui ne vous est sans doute pas inconnu : “Les Lycéens !”.
Ce collectif, qui se présente aujourd’hui comme un rassemblement indépendant et neutre, aurait en réalité été structuré avec les moyens d’Avenir Lycéen. Le 19 décembre 2020, une réunion s’est tenue à Lyon, dans un appart’hôtel loué… par Avenir Lycéen lui-même. La facture ? 379,89 €. Le billet d’avion de Gaëlle, elle aussi présentée comme indépendante ? 143,45 €, également pris en charge par le syndicat.
Lors de cette réunion, qui réunissait onze personnes (dont sept en visioconférence), une vidéo de promotion pour “Les Lycéens !” a été tournée. Les participants ont notamment échangé sur les futures élections au Conseil supérieur de l’éducation. Autrement dit : tout portait déjà sur la prise de pouvoir en 2021-2023… et peut-être au-delà.
Tom-Eric Oumier, confondateur de “Les Lycéens !” et tête de liste au CSE en 2021, reconnaissait auprès de Libération en janvier 2021 que deux des membres d’Avenir Lycéen étaient cofondateurs de “Les Lycéens !”, tout en précisant qu’« ils sont juste là pour partager leur expérience. Nous ne choisissons pas nos membres, nous avons la volonté de représenter tout le monde. On n’a aucun autre lien, la plupart d’entre nous sommes nouveaux dans l’engagement ».
Interrogée par Mediapart, Gaëlle n’a jamais souhaité répondre aux accusations de confusion entre les deux structures. Pourtant, le témoignage accablant de Quentin, ex-trésorier d’Avenir Lycéen, ne laisse que peu de place au doute. Il affirme que les moyens logistiques et financiers du syndicat ont bel et bien servi à organiser cette « résurrection déguisée ».
Et ce n’est pas tout : plusieurs anciens membres du syndicat ont claqué la porte, dénonçant une opacité constante et un refus de rendre des comptes sur les finances internes.
Alors, à la lumière de ces faits, la victoire écrasante de “Les Lycéens !” en 2025 peut-elle réellement être considérée comme le fruit d’une campagne « indépendante » ? L’ombre d’Avenir Lycéen semble planer lourdement sur ces résultats, d’autant plus que certains des visages impliqués à l’époque sont aujourd’hui… toujours actifs alors qu’ils ne sont plus membres. En témoigne l’implication de certains co-fondateurs de “Les Lycéens !”, qui ont cherché, selon nos informations, à s’impliquer à plusieurs reprises dans la campagne, notamment en tentant de se procurer des documents clés.
L’affaire Avenir Lycéen n’est donc pas une vieille page tournée. Elle s’est peut-être simplement réécrite. Avec un nom neuf, une stratégie affinée et des relais toujours bien présents.
Le tribunal administratif de Paris, en annulant l’élection du 7 avril 2025, n’a pas seulement jugé des irrégularités techniques. Il a, peut-être sans le dire, levé le voile sur des logiques de pouvoir trop longtemps passées sous silence.
Un jugement contesté, ou simple déni ?
Selon nos sources proches du dossier, “Les Lycéens !” dénoncent l’absence d’audition leur permettant de se défendre. « On invalide des élections alors qu’on a même pas été invités à nous prononcer », déplore l’un d’eux sur une boucle interne. Or, ni la juge ni le code de justice administrative n’obligeaient ces derniers à être auditionnés (articles R. 625-1 et R. 625-2 du code de justice administrative : seules les parties interviennent à l’audience — LL n’était pas partie).
De plus, il n’est pas possible de faire appel de la décision : selon l’article L. 523-1 du code de justice administrative, les référés-suspension sont rendus en dernier ressort.
Les élections sont donc définitivement suspendues, en attendant l’exécution de l’ordre par le ministère de l’Education nationale.
« La République mande et ordonne à la ministre d’État, ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision. »
- TA Paris, Juge des référés, 8 juillet 2025, n°2517338
La justice a donc tranché. Au risque de faire « perdre toute crédibilité [aux élections du CSE] », comme le souligne un des membres de “Les Lycéens !”. Ou peut-être de les remettre dans le droit chemin.
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