Parmi les multiples séquelles laissées par la crise sanitaire du Covid-19, l’une des plus préoccupantes reste l’augmentation des violences chez les jeunes. Loin d’être un simple “effet secondaire” du confinement, cette flambée de tensions semble être le révélateur d’un mal-être plus profond, combinant isolement, anxiété, et perte de repères.
Déjà en 2021, l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) constatait une hausse significative des violences physiques chez les mineurs. Dans certaines académies, les violences en milieu scolaire ont bondi de 30% dès la rentrée post-confinement. Les psychologues scolaires, débordés, alertaient sur une explosion des troubles du comportement et de l’agressivité, notamment chez les collégiens. Pour nombre d’entre eux, le confinement a constitué une rupture brutale de la socialisation. Coupés de leurs pairs, plongés dans des environnements familiaux parfois instables, les adolescents ont vu leur santé mentale se détériorer. Selon une enquête menée par Santé publique France, un jeune sur quatre montrait des signes d’un trouble anxiodépressif en 2022, contre un sur dix avant la pandémie.
Mais le plus inquiétant est peut-être que ces effets semblent s’inscrire dans la durée. En 2023 encore, les services de pédiatrie et de pédopsychiatrie continuaient de rapporter une surcharge liée aux comportements violents ou suicidaires chez les jeunes. Un rapport du Sénat publié en 2023 sur la santé mentale des enfants évoque même une “bombe à retardement sanitaire”.
Les causes sont plurielles. Le numérique, omniprésent durant les confinements, a favorisé un repli sur soi, et dans certains cas, une exposition accrue à des contenus violents ou extrémistes. A cela s’ajoute une perte de confiance dans les institutions, l’école notamment, qui a parfois peiné à maintenir un lien éducatif et affectif solide pendant la crise. Les inégalités sociales, déjà marquées, se sont creusées, laissant une partie de la jeunesse dans un sentiment d’abandon.
Il est devenu presque banal, dans certains quartiers, qu’un simple regard de travers entre deux adolescents dégénère en vendetta, parfois armée, et s’inscrive dans une logique de représailles sur plusieurs mois. Ce type de spirale violente, disproportionnée face à l’incident initial, révèle une perte totale de repères en matière de gestion des conflits et de hiérarchisation des enjeux. Ce n’est plus un désaccord ou une tension ponctuelle, mais une manière de s’affirmer par la violence, dans des environnements où l’honneur, la force ou l’intimidation font parfois office de codes sociaux.
Une société qui abandonne sa jeunesse prépare tôt ou tard sa défaite
Plus largement, ce phénomène illustre l’enracinement d’une crise dans certains territoires où les services publics, et en particulier la police, ne parviennent plus à exercer une présence réelle et apaisée. Là où l’Etat se retire, d’autres logiques prennent le relais : celles des bandes, des trafics, ou de l’ultraviolence gratuite. La banalisation de la violence entre jeunes dans ces zones n’est donc pas seulement un symptôme, mais le révélateur d’un abandon progressif, d’un renoncement collectif à traiter les causes profondes : déscolarisation, précarité, reléégation urbaine, rupture du lien avec l’autorité. Tant que ces fractures territoriales ne seront pas sérieusement prises en charge, on ne pourra qu’assister, impuissants, à la montée en puissance d’une génération habituée à régler ses comptes non plus par la parole, mais par les poings – ou pire, par les armes.
Les conséquences futures pourraient être lourdes. Une jeunesse durablement marquée par la violence risque de reproduire ces comportements à l’âge adulte, dans la sphère privée comme dans la société. L’intégration professionnelle pourrait aussi s’avérer plus complexe pour ceux dont la scolarité a été profondément perturbée. Il y a urgence à agir.
Des initiatives positives existent : développement de la médiation scolaire, programmes de soutien psychologiques renforcés, retour à une éducation plus humaniste. Mais il faut aller plus loin. Penser une “réparation sociale” pour cette génération, en investissant massivement dans la santé mentale, la culture, le sport, l’écoute. L’école, les associations, les collectivités locales doivent être les fers de lance de ce chantier essentiel.
Car ce qui est en jeu, ce n’est pas seulement la paix sociale dans les lycées ou les quartiers. C’est la confiance d’une génération dans l’avenir, et dans la société qui l’a laissée seule face à la peur. Et une société qui abandonne sa jeunesse à la violence prépare, tôt ou tard, sa propre défaite.
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