Considérée par la gauche comme “le visage de la cruauté” de la politique migratoire de Donald Trump, la secrétaire à la sécurité intérieure multiplie les démonstrations de force devant les caméras dans un style qui est devenu celui des femmes de l’entourage du président.
Depuis le 20 janvier, elle est le visage des raids anti-immigrants aux Etats-Unis. Kristi Noem, la secrétaire à la sécurité intérieure de Donald Trump, assume tout. Les poursuites d’ouvriers agricoles dans les champs de Californie, les incarcérations dans les marécages insalubres de Floride, les citoyens américains pris dans le filet de la police de l’immigration, les enfants laissés seuls après l’arrestation de leurs parents à un feu rouge…
Non seulement elle assume, mais elle prête assidûment son visage aux opérations. Jusqu’à poser, le 26 mars, devant la prison de haute sécurité du Salvador. En arrière-plan, des dizaines de détenus au crâne rasé, torse nu sur short blanc, massés comme du bétail derrière les barreaux. La ministre est venue montrer que les Etats-Unis de Donald Trump n’expulsent que de dangereux “criminels”, quoi qu’en pense le juge américain qui maintient que toute personne arrêtée a le droit de contester son placement en détention.
Kristi Noem aime se mettre en scène. Elle a son propre style de télé-réalité dans laquelle elle se déguise devant la caméra en une multitude de personnages”, explique le sénateur démocrate Adam Schiff, fasciné par l’exercice au point d’en faire des clips récurrents sur sa chaîne YouTube. On y voit Noem, à cheval, patrouillant avec la police aux frontières. En blouson de cuir de copilote, dans un avion des gardes-côtes. Lors de la mise en scène devant la prison salvadorienne, la ministre a oublié d’enlever la Rolex à 50 000 dollars (44 000 euros) qu’elle porte au poignet.
Pour le démocrate, elle est “le visage de la cruauté” de la politique migratoire de Trump. Au début de l’année, la républicaine a approuvé l’idée d’une sorte de “Hunger Games” pour migrants : les demandeurs d’asile auraient à affronter une série d’épreuves télévisées. A l’issue des joutes, l’un d’eux gagnerait sa “carte verte” de résident permanent.
Ex-gouverneure de Dakota du Sud, un Etat de 925 000 habitants, dont 84% sont des Blancs, Noem dirige le département de la sécurité intérieure créé après les attentats du 11 septembre 2001, l’un des plus importants du gouvernement américain, avec 260 000 agents. Outre l’immigration, le département supervise la lutte antiterroriste, la cybersécurité, la protection des personnalités, la sécurité dans les aéroports, et la gestion des secours en cas de catastrophes naturelles, par le biais de la Federal Emergency Management Agency.
La triste fin de Cricket
Ses connaissances en matière de respect de la loi ont été testées lors de sa confirmation au Sénat. Sa définition de l’habeas corpus ? “C’est un droit constitutionnel que le président possède et qui lui permet d’expulser des gens de ce pays”, a-t-elle répondu. La sénatrice qui la questionnait a dû lui réexpliquer que l’habeas corpus défend au contraire les justiciables contre les arrestations arbitraires et les détentions sans jugement.
Kristi Noem est née en 1971 dans le Dakota du Sud, un Etat fortement ancré dans le souvenir de la conquête des plaines du Midwest, achevée en 1857. Les Blancs y ont sculpté l’effigie de leurs grands chefs, au coeur des Black Hills, dans la roche du mont Rushmore. Les Indiens continuent, eux, à revendiquer les buttes sacrées dont le gouvernement américain leur avait garanti la souveraineté dans les traités officiels. En 2024, Noem, alors gouverneure, a été interdite d’entrée sur leur territoire par les neufs tribus du Dakota. Elle avait envoyé 28 membres de sa garde nationale au Texas, à la frontière du Mexique, en affirmant, contre leur avis, que les réserves indiennes étaient infiltrées par les cartels mexicains.
Les parents de Kristi Noem étaient fermiers. En 1994, quand son père est mort d’un accident dans un silo à grains, elle a quitté l’université pour retourner sur la terre familiale. Elle s’est mariée ; le couple a repris l’exploitation, c’est là qu’elle a abattu d’une balle le petit chien Cricket qu’elle n’arrivait pas à dresser. Elle a raconté l’épisode en 2024 dans son autobiographie, jugeant qu’il renforcerait son image de femme à poigne. Beaucoup ont été horrifiés, même parmi les républicains. Mais Donald Trump, après l’avoir écartée de sa liste de favoris pour la vice-présidence, l’a jugée particulièrement qualifiée pour figurer dans son cabinet.
Star sur Fox News
Kristi Noem n’a fini ses études qu’en 2012, alors qu’elle avait été élue un an plus tôt à la Chambre des représentants. Au Congrès, où elle est restée plus de dix ans, elle n’a pas laissé de grands souvenirs. L’irruption de Trump l’a radicalisée, en même temps que son Etat. Le Dakota du Sud, jusque-là terre de conservateurs plutôt placides, a été conquis par le trumpisme et sa promesse d’ouvrir les vannes pour l’industrie pétrolière et le transport de pétrole issu des sables bitumeux du Canada, en opposition aux grandes manifestations écologistes de Standing Rock à l’automne 2016. EN novembre 2016, l’Etat a choisi Trump avce 61% des voix. En 2020, il lui a donné 62% et, en 2024, 63% soit 29 points d’avance sur Kamala Harris.
Devenue gouverneure en 2018, Kristi Noem a adopté le style Trump. La pandémie lui a donné un tremplin national. “Le Covid a fait d’elle une star républicaine”, a jugé le magazine Politico. Elle a refusé de faire appliquer les recommandations de port de masque et de confinement. Télégénique, elle est devenue une star sur Fox News. “Le Dakota, ça n’est pas New York”, rappelait-elle. Elle s’est montrée, à moto, au rallye annuel de Sturgis, en compagnie de 500 000 “bikers“. L’événement a permis au virus de se répandre dans le Midwest et au-delà. Quand Trump a voulu voir le feu d’artifice au pie des statues présidentielles du mont Rushmore, le 3 juillet 2020, elle a décrété que chacun avait le droit de mettre sa santé en danger, et a organisé les festivités.
Dans un parti antiélites, Kristi Noem cultive son image de femme de l’Ouest, comme en son temps Sarah Palin, l’ex-gouverneure de l’Alaska, colistière de John McCain à la présidentielle de 2008. Les collectes de fonds de l’ancienne “snow queen” (“reine de la neige”) du Dakota du Sud ravissent les donateurs républicains de Washington. Pour 60 000 dollars, ils pouvaient aller chasser l’ours en 2021 avec la gouverneure dans le Saskatchewan, au Canada voisin. Pour 27 500 dollars, récupérer la moto qu’elle montait au rallye de Sturgis, aux pires moments du Covid-19.
Kristi Noem a changé de visage en 2024. A l’approche de la présidentielle, elle a adopté ce que les satiristes appellent le “visage Mar-a-Lago” : celui des femmes de l’entourage de Trump, dont l’hyperféminité musclée n’a d’égale que le masculinisme des “bros”. Depuis, elle joue les “cops” en gilet pare-balles, fusil-mitrailleur et faux cils d’une longueur hollywoodienne. L’ex-vedette de Fox News Megyn Kelly lui a reproché de “glamouriser la mission” de la police et de chercher constamment à tenir la vedette.
Les responsables de la municipalité de Kerrville, au Texas, qu’elle était venue visiter après les inondations, lui ont donné un surnom : “Homeland Barbie”. Certains commentateurs pensent que c’est la meilleure façon d’attirer l’attention du patron. Pendant son premier mandat, Donald Trump a usé six secrétaires à la sécurité intérieure en quatre ans.