L’adolescent italien, mort en 2006 à l’âge de 15 ans, est canonisé à Rome, ce dimanche 7 septembre. Sa mère veille avec intransigeance sur le culte, de plus en plus massif, dont il fait l’objet.
Même lorsqu’ils ont vu des photos avant de venir, les pèlerins qui se pressent autour de la dépouille mortelle de Carlo Acutis, dans le sanctuaire de la Spoliation d’Assise, ne s’attendent pas à ce qu’ils découvrent : un grand jeune homme au visage poupin et à l’abondante chevelure brune, couché dans une châsse vitrée comme sur un lit.
Il n’est pas rare, dans les églises catholiques, d’entrevoir des reliques de saints. Des fragments, le plus souvent, scellés dans des boîtes plus ou moins transparentes – un doigt, une dent, un échantillon d’os, plus rarement un squelette entier. Du vieux, du très vieux même, peu parlant et donc peu susceptible d’exciter la ferveur des fidèles.
Rien de tel avec cet adolescent vêtu d’un sweat-shirt, d’un jean et chaussé de baskets – très loin du saint patron des lieux, ce moine en robe de bure qui se dépouilla de ses biens et vécut, pauvre parmi les pauvres, entre 1182 et 1226. Comme François d’Assise, pourtant, Carlo Acutis (1991-2006) est canonisé à Rome, dimanche 7 septembre, en même temps que le Turinois Pier Giorgio Frassati (1901-1925).
Tous deux jeunes au moment de leur mort, tous deux italiens, les futurs saints ne jouissent pas de la même notoriété, loin de là. Dans le cas de Carlo Acutis, cette célébrité s’accompagne d’un culte soutenu, qui engendre des rumeurs. Celle-ci, par exemple, colportée sur Internet : lors de son exhumation, en 2019, le corps de l’adolescent aurait été intact. Faux, explique le père Marco Gaballo, recteur du sanctuaire, à l’AFP : « Il était dans un état de décomposition normal pour une région au climat sec comme celui d’Assise, mais ses organes étaient encore structurés. » Les restes ont donc fait l’objet d’un traitement, avant d’être agrémentés d’un masque et de mains en silicone, d’où le réalisme frappant de l’ensemble.
Ce « garçon au bois dormant » ne bougera pourtant plus jamais : il est mort d’une leucémie foudroyante, à l’âge de 15 ans, en 2006. Depuis, la réputation de piété de ce jeune Italien né à Londres n’a cessé de croître, d’attirer des pèlerins et de susciter des publications. Béatifié en 2020 (la dernière étape vers la sainteté), il devait être canonisé par le pape François, le 27 avril, mais la célébration a été reportée en raison de la mort du souverain pontife, six jours avant la date fixée.
Mère de Saint : une occupation inédite
La cérémonie a lieu l’année du Jubilé des jeunes, moment tout trouvé compte tenu de l’âge auquel a disparu Carlo Acutis. En réalité, les saints morts avant l’âge adulte ne sont pas une exception, comme en témoigne la vie des petits bergers de Fatima, au Portugal. La canonisation express, en revanche, est un phénomène rare : les enfants portugais ont dû attendre presque soixante-dix ans pour accéder à cet honneur.
A sa manière, Carlo Acutis est donc un recordman de l’époque moderne, seulement battu par Jean Paul II, qui fut inscrit au catalogue des saints neuf ans après son décès. Le processus, très formel, implique une série d’enquêtes sur la vie des postulants, puis la reconnaissance d’au moins deux miracles par le corps médical. Ceux que l’on prête à Carlo Acutis – du moins à son intercession – concernent un enfant brésilien, en 2013, et une jeune Vénézuélienne, en 2022. Le premier a guéri d’une malformation incurable du pancréas, après avoir touché un tee-shirt ayant appartenu à Carlo Acutis. La seconde est sortie d’un coma réputé irréversible, après que sa famille a prié le jeune bienheureux.
L’une des conséquences de cette célérité, c’est que les proches de Carlo Acutis, père, mère, frère, sœur, sont toujours vivants. Pour la première fois dans l’histoire, des parents voient leur enfant accéder à la plus haute distinction de l’Eglise catholique. Andrea, le père, travaille à Milan dans une compagnie d’assurances appartenant à sa famille ; il ne donne pas d’interviews. La fratrie, des jumeaux âgés de 14 ans, est scolarisée dans un lycée public d’Ombrie. Quant à Antonia Salzano Acutis, la mère, elle vit entre Milan et Assise, sans compter ses voyages promotionnels autour du livre consacré à son fils, sous le titre Le Secret de mon fils. Comment il est devenu saint (Artège, 2022).
Mère de saint : l’occupation, totalement inédite, n’est pas une sinécure, surtout quand les sollicitations arrivent du monde entier. Bien que le Vatican contrôle étroitement la communication d’Antonia Salzano Acutis depuis l’annonce de la canonisation, cette dernière est une personne très occupée.
Lorsqu’on la rencontre, c’est sous une tonnelle de l’association des Amis de Carlo Acutis, sur les hauteurs d’Assise. L’endroit, niché dans la végétation du mont Subasio, offre une vue spectaculaire sur la vallée qui s’étend de Spolète à Pérouse. Née en 1966, Antonia Salzano Acutis est une femme de haute taille, dotée d’un « fort caractère » (c’est elle qui le dit), mais aussi d’une assurance que l’on devine héritée de ses origines sociales.
Ce monde-là, celui de la grande bourgeoisie milanaise, n’est cependant plus le sien. « J’étais gâtée, matérialiste, égoïste, souvent insatisfaite, et je pensais à l’avenir comme si le présent ne comptait pas », raconte-t-elle devant un café. Puis est arrivé Carlo, qui lui a ouvert la voie de la foi et de « l’eucharistie vécue comme une présence réelle ». Fini les mondanités, le consumérisme, la vanité. « Au grand dam de nos familles, nous avons cessé de fréquenter la noblesse et les gens riches que nous avions l’habitude de côtoyer, mon mari et moi, ajoute Mme Salzano Acutis. La vie sociale, poursuit-elle, est une occupation continue, incompatible avec le désir évangélique. Je ne critique pas, mais j’y ai renoncé. »
Avant cette révolution, elle n’était « pas très croyante ». « Si j’ai fréquenté une école tenue par des religieuses, c’est uniquement à cause de la proximité de l’établissement. » Aujourd’hui, à l’entendre, tout a changé, mais la tâche n’est pas lourde, puisqu’il s’agit, pense-t-elle, d’une « manière donnée par Dieu [de la] sanctifier ». Admiratrice de Benoît XVI, elle vit dans un univers auréolé de signes et de prédictions, d’apparitions en rêve et de messages. Comme cette fois où, visitant le sanctuaire de San Giovanni Rotondo, dans les Pouilles, « une voix » lui aurait dit : « Carlo est au paradis. » Elle se dit également préoccupée par des sujets comme la drogue et, surtout, la pornographie, un « péché contre le commandement de l’amour ».
“Frappé en plein coeur”
L’enfant, lui, a vite développé une foi hors du commun. Dès son plus jeune âge, raconte sa mère, il cherche les églises partout où il va. Après avoir supplié de faire sa première communion plus tôt que les autres, il entreprend de se rendre à la messe chaque jour. En parallèle, et sa mère insiste là-dessus, « Carlo était un enfant parfaitement normal ». Sportif, sociable, aimant les animaux, toujours bienveillant avec son entourage et, surtout, soucieux des pauvres, lui qui ne manquait de rien. Dans son livre, Antonia Salzano Acutis explique qu’ils’était organisé pour venir en aide à des sans-abri, utilisant son argent de poche pour leur fournir des vivres et des sacs de couchage.
Normal, mais précoce, à en croire sa mère, qui affirme, sans ciller : « Carlo a prononcé ses premiers mots à l’âge de 3 mois et des phrases coordonnées à 5 mois. » Elle relate aussi qu’à 11 ans son fils lisait des ouvrages d’informatique de niveau universitaire. Parfois surnommé l’« influenceur de Dieu », il s’est servi de cet outil pour évangéliser autour de lui, mais aussi pour organiser une exposition virtuelle sur les « miracles eucharistiques », présentée dans le monde entier après sa mort. Au lycée, cependant, le futur saint se montrait discret, d’après deux anciens camarades cités par le magazine The Economist,du 28 mars. Selon eux, Carlo ne parlait pas de sa religion à ses condisciples, certains ignorant même qu’il était croyant.
Est-ce grâce aux réseaux sociaux ? A l’engagement de sa mère ? A celui des paroisses, où furent distribuées quantité de reliques ? Quoi qu’il en soit, l’odeur de sainteté s’est répandue à toute vitesse. Déjà, lors des funérailles du jeune homme, une assistance exceptionnellement importante s’était pressée dans l’église milanaise de Santa Maria Segreta, en octobre 2006. Très vite, le bruit court qu’une guérison inexpliquée serait survenue à l’issue de la messe. Aujourd’hui encore, personne ne semble en mesure d’expliquer comment la popularité de Carlo Acutis s’est répandue à ce point.
Les pèlerins qui se succèdent sans interruption autour de la châsse d’Assise témoignent de cette diversité. Ils sont nombreux et très émus, comme Carmine, qui pleure en sortant du sanctuaire. Entièrement vêtu de blanc, survêtement et casquette, l’homme de 46 ans est arrivé de Naples exprès, entraîné par sa compagne. « Je ne suis pas pratiquant, dit-il, alors je ne m’attendais pas à être à ce point frappé en plein cœur. » Derrière lui viennent deux quinquagénaires du Nouveau-Mexique, un homme et une femme animés d’une intention bien précise : « Prier Carlo afin qu’il intercède pour éclairer nos jeunes. » Ou encore une famille du Colorado, avec des enfants en bas âge. Et enfin, ce couple de Brésiliens tout juste mariés, pour qui ce saint moderne et souriant s’avère une « source d’inspiration ».
Insistance des pèlerins
« C’était un garçon comme nous, qui a consacré son existence à Jésus », dit Teresa, la jeune épouse. La normalité, voilà le maître mot de cette canonisation qui entend adresser une invite aux jeunes du monde entier, comme le souligne l’évêque d’Assise, Mgr Domenico Sorrentino : « Si vous ne pouvez imiter l’héroïsme de saint François, qui s’est dépouillé de tout pour mener une vie d’ascèse, alors imitez la sainteté “normale” de Carlo. Profonde, radicale, mais dans un cadre ordinaire. »
Quand il est arrivé à la tête de ce diocèse, en 2006, Mgr Sorrentino n’avait jamais entendu parler de l’adolescent milanais. « Mais, très vite, explique-t-il, j’ai su que des pèlerins venaient sur sa tombe, dans le cimetière de la ville. » A l’époque, les capucins d’Assise avaient déjà fait de Carlo Acutis la vedette de leur pastorale des jeunes, affichant une photo de lui dans leurs locaux. Quinze ans plus tard, lorsque la châsse a été exposée dans le sanctuaire, la vitre latérale était couverte d’un panneau de bois qui masquait le corps. Face à l’insistance des pèlerins, Mgr Sorrentino a fini par supprimer cette barrière entre le futur saint et les fidèles.
Déjà nombreux depuis longtemps, ceux-ci le sont devenus plus encore à partir du moment où il a été question d’une canonisation. « La fréquentation a explosé », observe Mgr Sorrentino, constatant qu’Assise a « complètement changé, surtout grâce à l’afflux de jeunes, emmenés par des paroisses ». Le sanctuaire a reçu presque un million de visiteurs en 2024, contre 60 000 l’année précédente. « Et ne croyez pas que nous fassions de la publicité,affirme le père Marco Gaballo, dans son bureau encombré de cartons d’images pieuses à l’effigie du jeune saint. C’est même le contraire, nous essayons plutôt de dissuader les gens de venir. »
En attendant, des reliques du jeune homme circulent dans les paroisses du monde entier. L’une des plus importantes, son péricarde, doit être transportée place Saint-Pierre, à Rome, le jour de la canonisation. Antonia Salzano Acutis, de son côté, distribue aux visiteurs des rosaires et des reliques dites « de seconde classe » : un morceau de tissu grand comme un confetti, prélevé sur un textile ayant approché son fils et enchâssé dans un porte-cartes. On est loin de saint François d’Assise et de sa robe de bure.