Le jour de l’élection du candidat républicain à la Maison Blanche, mercredi 6 novembre, le suprémaciste blanc de 26 ans Nick Fuentes a posté une vidéo sur TikTok dans laquelle il se moque des femmes et de leurs droits.
“Les hommes gagnent de nouveau ! Nous allons vous garder à terre pour toujours. Vous ne contrôlerez jamais vos propres corps.”
Nicholas J. Fuentes, “Nick Fuentes”, dans son émission America First
“Ton corps, mon choix pour toujours”, a lancé le commentateur d’extrême droite Nick Fuentes sur X, mercredi 6 novembre, en référence à la célèbre phrase utilisée par les associations féministes : “Notre corps, notre choix”. Le slogan est très vite devenu viral sur les réseaux sociaux. Il a par la suite appuyé son propos dans son émission America First, diffusée quotidiennement sur sa propre plateforme de streaming.
Nick Fuentes, de son vrai nom Nicholas Joseph Fuentes, est né le 18 août 1995 dans l’Illinois. Il se fait un nom dans le monde politique américain en 2022 lors d’une de ses conférences, nommée America First, dans laquelle il fait l’éloge d’Adolf Hitler en affirmant que les médias ont comparé Vladimir Poutine à l’ancien dictateur allemand “comme si ce n’était pas une bonne chose”, rappelle le magazine Rolling Stone. Lors de ce même événement, il a aussi réclamé au public “une salve d’applaudissements pour la Russie”, des chants élogieux envers le président russe ont ensuite été entonnés par la foule.
Your body, my choice. Forever.
— Nicholas J. Fuentes (@NickJFuentes) November 6, 2024
A de nombreuses reprises, le jeune homme d’origine mexicaine a exprimé son soutien à Trump, notamment lors de la prise du Capitole, en janvier 2021. Présent ce jour-là, il avait harangué la foule avant qu’elle y pénètre. Pourtant, en juillet dernier, Nick Fuentes critiquait ouvertement JD Vance, l’actuel vice-président de “son chef [ndlr : surnom qu’il donne à Trump]” dans son émission : “Mais qui est ce type ? On espère vraiment qu’un type avec une femme indienne et qui a nommé son fils Vivek va supporter l’identité blanche”. Des propos qui pousseront JD Vance à “le désavouer” dans une émission diffusée sur CBS. Mais le commentateur politique d’extrême droite est revenu sur le devant de la scène avec ses déclarations masculinistes et misogynes.
Nick Fuentes:
— Edward-Isaac Dovere (@IsaacDovere) July 16, 2024
“J.D. Vance also has an Indian wife and a kid named Vivek. All his kids have Indian names—so it’s like, what exactly are we getting here? And that’s not a dig at him just because I’m a racist or something. But who is this guy really?”
pic.twitter.com/2P7KD2k6IK
“Ils avaient hâte que je me fasse violer”
Auparavant simple youtubeur et créateur de podcast faisant peu d’auditeurs, Nick Fuentes s’est bâti une solide communauté : il compte aujourd’hui plus de 400.000 abonnés sur X, alors qu’il a été réintégré sur le réseau social en mai dernier (il avait été banni pendant trois ans). Depuis sa prise de parole mercredi 6 novembre, la mention sur les réseaux sociaux de la phrase bien connue des communautés misogynes, a augmenté significativement (+4600%), selon les chiffres de l’Institut pour le Dialogue Stratégique (institut britannique spécialisé dans l’étude de l’impact des médias sociaux sur les attitudes, entre autres), cités par CNN.
Ces mentions se retrouvent par exemple en commentaires des vidéos de certaines créatrices de contenus. “J’ai dû supprimer une vidéo parce que j’étais en train d’être menacée, que plusieurs hommes commentaient qu’ils avaient hâte que je me fasse violer”, a expliqué en vidéo l’influenceuse Camila Guadaramma qui cumule plus de 230.000 abonnés sur TikTok.
@camichurro_123 ♬ original sound – 𝐓𝐀𝐋𝐄𝐒 𝐎𝐅 𝐁𝐎𝐑𝚰𝐒
“Je ne pensais pas publier ce post un jour”, comme une mère de famille dans sa vidéo TikTok. “Mon fils aîné, qui est en CE1, a entendu un de ses camarades dire à un autre : “leur corps, mon choix”. C’est réel, ça arrive dans des écoles primaires”, se déplore-t-elle. Loin d’en être bouleversé, Nick Fuentes se réjouit de ses commentaires. “J’aimerais prendre cette opportunité pour remercier les hommes d’avoir sauvé ce pays des salopes stupides qui voulaient détruire le monde pour garder l’avortement”, a-t-il lancé sur X le soir de l’élection.
@thee_sapphire We need to protect our children. More now than ever, be open and communicate with them. It pains me to know my childs school is now poisoned with this behavior. THIS NEEDS TO END. *AND YES – teachers, school administrators have been notified** #labor #elementaryschool #mybodymychoice #womensrights #femalerights #rights #protection #safety
♬ LABOUR – the cacophony – Paris Paloma
Lors de la campagne présidentielle, Donald Trump s’était montré prudent sur la question de l’avortement. Il avait notamment déclaré vouloir laisser aux Etats le soin de décider sur ce droit. Ce qui a donné lieu, depuis, à de formidables revirements dans certains d’entre eux.
L’inquiétant regain du masculinisme, cette pensée réactionnaire aux origines millénaires
Ce contre-mouvement au féminisme s’appuie sur le mythe d’une “crise de la masculinité” pour défendre le modèle inégalitaire des rapports entre les femmes et les hommes.
C’est un mouvement diffus, mais têtu. Une réalité dérangeante six ans après les débuts de la révolution #metoo. Alors que les jeunes femmes adhèrent de plus en plus aux valeurs progressistes, les hommes du même âge ont tendance à se tourner vers des idées conservatrices. A partir de données de plus d’une vingtaine de pays, un article du Financial Times a mis en évidence la progression, depuis six ans, d’un “fossé idéologique” de 30 points environ entre les filles et les garçons de la génération Z, notamment sur les questions d’égalité.
La France n’est pas épargnée par cet inquiétant phénomène. L’alerte a été donnée en janvier 2024 par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes. Les résultats de son Baromètre annuel du sexisme rapportent, là aussi, un écart de près de 30 points entre les femmes et les hommes de moins de 35 ans, sur la perception des inégalités dans la famille (28 points) comme dans la rue ou les transports (27 points). “Le clivage se confirme et se polarise”, s’alarment les auteurs du rapport, qui constatent que “plus l’engagement en faveur des femmes s’exprime dans le débat public, plus la résistance s’organise”. Ils s’inquiètent notamment de la progression des “réflexes masculinistes et comportements machistes […] chez les jeunes hommes adultes” : 28% des 25-34 ans estiment que “les hommes sont davantage faits pour être patrons” (contre 9% des 50-64 ans) ; 52% pensent qu’on “s’acharne sur les hommes”.
Les féministes connaissent bien ce phénomène de backlash (“retour de bâton”), mis en lumière par la journaliste américaine Susan Faludi pour décrire la montée en puissance d’un contre-mouvement après une avancée féministe. Depuis #metoo, nombreux sont ceux qui questionnent leur identité masculine et remettent en cause le modèle dominant dans lequel ils ont grandi. Mais un antiféminisme décomplexé s’est aussi imposé dans l’espace médiatique.
En quelques années se sont multipliés les vidéos et les “podcasts bros”, ces émissions entre hommes où l’on parle de muscles, de sport, de conseils de séduction, mais aussi des femmes de manière souvent dégradante et caricaturale, accusées d’avoir pris trop de pouvoir. Pour reconquérir leur place sociale, de jeunes hommes y apprennent à se former à des méthodes de séduction viriles sur le modèle du “mâle alpha”, stéréotype d’une masculinité dominante.
De fait, le masculinisme “s’inscrit pleinement dans l’héritage d’un antiféminisme dont l’origine est aussi ancienne que celle du mouvement féministe, voire la précède”, affirme l’historienne Christine Bard, codirectrice de l’ouvrage collectif Antiféminismes et masculinismes d’hier et d’aujourd’hui (PUF, 2019). Le terme apparaît d’ailleurs à la fin du XIXè siècle sous la plume des pionnières du mouvement féministe, qui l’inventent en même temps que le mot “féminisme”. La journaliste Hubertine Auclert (1848-1914) l’utilise pour décrire “l’égoïsme masculin qui pousse les hommes à agir en défense de leur intérêt particulier”, rapporte Denis Carlier, doctorant en science politique et en histoire qui termine une thèse à ce sujet.
Archétypes piégeux
Peut-on – et comment – désamorcer cette mécanique infernale ? En 2017, la philosophe Olivia Gazalé analysait, dans Le Mythe de la virilité. Un piège pour les deux sexes (Robert Laffont), la façon dont les sociétés contemporaines demeurent prisonnières d’archétypes nés dans l’Antiquité, qui piègent les femmes, victimes de représentations légitimant la domination masculine, mais aussi les hommes, “sommés de se conformer à des canons virils coercitifs et discriminatoires” et contraints de “devoir sans cesse prouver et confirmer qu’ils sont bien des hommes”.
Sortir de ce piège est possible, à condition “non plus d’en rendre responsables les femmes et le féminisme, mais d’accepter de reconnaître tout un système de normes inégalitaires et le remettre en cause”, affirme le politiste Francis Dupuis-Déri, qui a publié en 2023 Les Hommes et les Féminismes. Faux amis, poseurs ou alliés ? (Textuel). Pour y parvenir, “il faut avant tout en finir avec les analyses psychologisantes qui conduisent à inverser la victimisation, prévient Christine Bard. Certes, le masculinisme se nourrit des angoisses de la modernité, des peurs sociales, des injustices économiques, mais quand des hommes s’y engagent, ils ne le font pas par peur. Ils sont mus par la haine, particulièrement la haine des femmes qui revendiquent l’égalité. Ils le font convaincus de leur droit de le faire et de leur supériorité”.
La solution passe par l’éducation, car “on ne sortira de ce mal profond qu’en amenant les hommes à déconstruire leurs préjugés, à développer une conscience féministe. C’est en partie un enjeu d’accès à la connaissance”, ajoute l’historienne, qui s’y emploie en préparant pour 2027 l’ouverture d’un futur Musée des féminismes, à l’université d’Angers.
Le travail est immense. Avec plus d’un tiers des personnes interrogées qui pensent encore que les inégalités sont dues à une différence naturelle, le Haut Conseil à l’égalité révèle une large méconnaissance conduisant à une “véritable “éducation” au sexisme […], pas forcément conscientisée”. L’institution appelle l’Etat à mener une “action publique forte, continue et globale”, en particulier dans l’éducation, l’espace numérique et l’exercice de la justice. Le chantier reste à ouvrir.