OPINION – Que penser de Kaizen, d’Inoxtag ?

L’ascension du plus au haut sommet du monde, une leçon de vie et une source de motivation, ou un nouveau caprice d’ultra riche ?

Pour contextualiser un peu, le mont Everest, situé au Népal dans les plus hautes montagnes de l’Himalaya, est une attraction touristique très prisée par cette minorité bourgeoise (d’après Inoxtag, répondant à Quotidien, « il faut compter 50 000 euros par personne pour l’ascension ») ; chaque année plusieurs centaines d’alpinistes arrivent au sommet de la montagne.

Le film-documentaire d’Inoxtag montre son parcours, sa préparation physique d’un an jusqu’à gravir le sommet de l’Everest. Durant l’entièreté de la vidéo, il fait passer un grand message de motivation et de développement personnel, mais alors, où se situe le problème ?

Le message passé est très clair : quand on veut on peut, avec de la volonté, et les échecs sont sur le chemin de la réussite. C’est le résumé parfait du concept de méritocratie, créé pour justifier, dans notre société capitaliste, l’existence de plusieurs échelles sociales : ceux tout en haut ont travaillé dur, ceux tout en bas sont juste des fainéants. Inoxtag appuie l’idée que nous réussissons en travaillant, mais prenons cette idée en contraposée : ceux qui n’y arrivent pas ne le voulaient donc juste pas assez ? Ou n’ont pas assez travaillé pour ? Et le problème est là. Il y a une quantité gigantesque de facteurs socio-économiques qui empêcheraient de faire ce que l’on a envie : revenus de la famille, lieu de vie, handicap, difficultés dans le système scolaire, origine, sexe, religion… Un garçon blanc issue d’un milieu bourgeois aura factuellement bien plus de facilités a accomplir ce qu’il veut, qu’une jeune fille noire issue d’un quartier populaire (possibilité ou non de payer des grandes prépas, pratiquer des activités extra-scolaires, se faire aider par les parents ou des personnes spécialisées, discriminations dans les milieux social et professionnel…). Il faut en moyenne six générations pour qu’un transfuge de classe apparaisse : est-ce parce que ces personnes sont fainéantes et en manque critique de volonté, ou parce que, dès la naissance, leur vie est condamnée à être plus compliquée ? Le concept de méritocratie, qui d’ailleurs est prôné uniquement par la classe bourgeoise, fonctionnerait si nous partions tous du même point de départ, mais dans une société qui exploite, le lieu de naissance est déjà quasiment un facteur qui définira la vie de l’individu. De plus, les très rares cas de fonctionnement de ce concept (qui pour la plus part cachaient un fond de grand-père qui possède un très gros patrimoine, ou une mère qui a pas mal de contacts), ne sont que possibles en Occident : les femmes afghanes sont condamnées dès leur arrivée sur terre à n’avoir absolument aucun droit, les enfants palestiniens à être ensevelis sous des bombes, et ceux du Bangladesh à travailler dans des usines insalubres de fast fashion dès l’âge de 4 ans (mais à en croire le capitalisme, c’est sûrement parce qu’ils l’ont mérités). La méritocratie, en tant que concept universel de fonctionnement de notre monde, n’existe juste pas, elle n’est pas là pour nous pousser à faire de notre mieux, à se surpasser ou à croire en nos rêves, elle est uniquement faite pour justifier un patrimoine économique immense d’une minorité, et que certains vivent dans la rue et d’autres détiennent une maison de vacances sur la côte d’Azur.

Un second détail dérangeant, c’est la représentation de ses compagnons de l’ascension, les Sherpas. Ce peuple tibétain accompagne les alpinistes, et c’est un métier extrêmement compliqué. Ils représentent un tiers des morts de l’Everest, sans parler de la perte de membres due au froid. Pour les habitants locaux des montagnes, ces expéditions sont souvent les seules sources de revenus des familles. Là où les alpinistes voient une « expérience de dépassement de soi », une activité de plaisir, les Sherpas eux, voient un travail dangereux, qui les force à laisser leurs femmes et enfants pendant plusieurs mois, des mois durant lesquels ils peuvent y laisser la vie. Dans la vidéo de Inoxtag, ils sont toujours derrière sur plusieurs mètres portant des charges de plus de 30 kilos. Un des Sherpas, Manish, n’a jamais eu l’occasion d’arriver au sommet de l’Everest. Inoxtag essaie alors de renvoyer l’image de celui qui lui a permis « de réaliser son rêve », de sauveur. Il lui offre de plus un maillot de basket, comme pour le récompenser : le sherpa, ici, a quasiment la position d’un enfant à qui on fait plaisir parce qu’il a fait ce qu’on lui a demandé, sauf qu’ici la tâche était de risquer sa vie pour le plaisir d’autrui. En clair, les Sherpas font partis de ceux qui subissent les loisirs capitalistes.

Bien sûr, des points positifs sont à noter : l’impact écologique terrible est clairement mis en avant, visuellement le film est exceptionnel, et évidemment que la prouesse sportive est admirable.

Il y a encore quelques années, nous étions ce que nous possédions : l’humain était son capital (même si nous pouvons encore employer “est”). Maintenant, nous sommes ce que nous vivons, une course à la recherche d’expériences, faire plus gros et plus fou que l’autre, faire ce qui nous fera sentir meilleur, pour se construire une place. Et le Mont Everest restera sûrement un des meilleurs exemples de cela.

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