OPINION – La France, les médias et la question palestinienne : vers une rupture du tabou ?

Le 9 avril 2025, sur le plateau de C à vous (France 5), Emmanuel Macron a lâché une bombe diplomatique : la France pourrait reconnaître un État palestinien dès juin, à l’occasion d’une conférence internationale co-présidée avec l’Arabie saoudite. Un tournant majeur dans la diplomatie française, longtemps jugée frileuse, voire alignée sur une solidarité tacite envers Israël. Mais au-delà du symbole, une question brûle : cette prise de position est-elle le reflet d’un véritable changement ou un simple geste politique face à une opinion publique de plus en plus choquée par les images en provenance de Gaza ?

Une couverture médiatique sous influence : Israël toujours dans le bon rôle ?

Malgré la montée des violences, les médias français continuent à dépeindre Israël comme une démocratie attaquée par des terroristes, évitant soigneusement les mots qui fâchent : “occupation”, “apartheid”, “colonisation”. Les souffrances palestiniennes, elles, peinent à franchir l’écran. Les chaînes d’info en continu martèlent des images de violences du Hamas, souvent sorties de leur contexte, tout en minimisant ou en relativisant les représailles israéliennes. Le massacre du 7 octobre 2023 a ainsi justifié, dans le discours dominant, des mois de bombardements meurtriers. Mais où sont les reportages sur les familles palestiniennes ensevelies, les enfants amputés, les ONG empêchées d’agir ?

Le sionisme, entre utopie d’émancipation et dérive coloniale

Pour comprendre ce déséquilibre médiatique, il faut remonter aux origines : le sionisme, né au XIXe siècle en réponse à l’antisémitisme européen, se voulait un projet de libération nationale. Il portait l’espoir d’un foyer pour un peuple persécuté. Mais la concrétisation de ce rêve, en 1948, a généré une catastrophe pour un autre peuple : la Nakba. Plus de 700 000 Palestiniens ont été expulsés ou ont fui leurs terres. Le mythe d’”une terre sans peuple pour un peuple sans terre” a masqué une réalité plus brutale, celle d’un déplacement massif, parfois accompagné de massacres. Un passé encore trop souvent passé sous silence.

En France, un tabou bien gardé : critiquer Israël, un risque politique

Dans l’Hexagone, la mémoire de la Shoah a sacralisé Israël. Dès lors, toute critique du sionisme ou des politiques israéliennes est assimilée à de l’antisémitisme. Emmanuel Macron l’a affirmé sans nuance : “l’antisionisme est une forme d’antisémitisme”. Résultat : les voix dissonantes sont stigmatisées, marginalisées, parfois interdites de plateaux télévisés. Des figures comme Rima Hassan, élue LFI, en font les frais. Dénoncer les violences israéliennes suffit à déclencher une tempête médiatique. Les journalistes critiques sont disqualifiés, les universitaires censurés. Même des philosophes comme Dominique Vidal dénoncent cette “culpabilité post-Shoah” qui, sous couvert de mémoire, empêche toute réflexion sur l’actuelle colonisation de la Palestine.

Gaza : le massacre permanent dans l’angle mort médiatique

Bombardements quotidiens, destructions d’hôpitaux, morts civiles par milliers… mais toujours ce même doute distillé : “selon le ministère de la Santé du Hamas”, répètent les journaux. Comme si la douleur d’un peuple n’avait de valeur que validée par une autorité occidentale. Comme si les Palestiniens n’avaient pas droit au statut de victimes crédibles. Les ONG comme Amnesty International ou Human Rights Watch parlent d’apartheid, crimes de guerre, voire de génocide. Pourtant, ces termes ne percent que rarement dans les grands JT français. L’armée israélienne bloque l’accès à Gaza ? Silence. Des humanitaires assassinés et jetés dans une fosse commune ? “Erreur”, selon Tsahal. La plupart des médias reprennent cette version sans la remettre en question.

Le crime de trop : quand l’horreur devient routine

Le 7 avril 2025, quinze humanitaires palestiniens sont exécutés et enterrés dans une fosse commune par l’armée israélienne. Une vidéo accablante circule. Pourtant, les grands médias s’empressent de relayer la version de Tsahal : une “bavure”, un “malentendu”, des “véhicules suspects”. Le silence médiatique qui suit glace le sang. Ce drame s’inscrit dans une spirale. L’Afrique du Sud accuse Israël de génocide devant la Cour Internationale de Justice. La CIJ exige l’arrêt des violences. Mais sur les plateaux français, rien. Ou presque. Un mot, une expression floue, une formule prudente. Pendant ce temps, à Gaza, les cadavres s’empilent. Peut-on encore croire à une couverture objective ? Le Hamas est une organisation terroriste, nul ne le conteste. Mais cela justifie-t-il qu’on accorde une présomption de vérité absolue à une armée accusée de meurtres de civils, de mensonges institutionnels, d’obstruction humanitaire ? Peut-on continuer à parler de “riposte” quand les frappes détruisent des écoles, des ambulances, des camps de réfugiés ? Les médias français, en refusant d’interroger ce déséquilibre, deviennent complices d’un récit qui justifie l’injustifiable. Et qui empêche tout espoir de paix.

Une guerre de récits… et un sursaut possible ?

Heureusement, des fissures apparaissent. Le boycott du match France-Israël par plusieurs associations étudiantes. Des rassemblements réunissant Juifs et Palestiniens pour dénoncer les massacres. La guerre ne se joue pas seulement à Gaza. Elle se joue aussi dans les mots. Dans les images qu’on montre. Et surtout, dans celles qu’on choisit de ne pas montrer.

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