Cet article retranscrit uniquement les opinions et analyses des auteurs cités, et ne reflète en aucun cas la prise de position du rédacteur.
Noli me tangere (Titien, 1514)
Adresse du Christ ressuscité à Marie-Madeleine dans l’Evangile de Saint-Jean
L’injonction christique annonce l’ambivalence du regard porté sur le corps dans le christianisme. “Le Verbe s’ets fait chair et il a habité parmi nous”. Le Prologue de l’Evangile de Jean commente l’incarnation de Dieu en la personne du Christ. DIeu, immanent et parfait, s’humilie dans un corps. Celui d’abord d’un enfant, “l’état le plus vil et le plus abject de la nature humaine après celui de la mort” commente encore au XVIIè siècle le cardinal Pierre de Béruelle dans ses Opuscules divers de piété. “Dieu en la bassesse de l’enfance […] a voulu se faire fils de l’homme, et venir par voie de naissance, d’enfance, d’infirmité, d’indigence et de dépendance, et tout ce qui suit cet état. […] Il porte en lui toutes les débilités de l’enfance”, s’émerveille-t-il. Dieu est enfant, puis simple charpentier, homme de chair, par-là sensible au péché.
L’humilité alors du Dieu chrétien reste scandaleuse deux mille ans plus tard lorsque sort le film de Martin Scorsese, La Dernière tentation du Christ (1988). “Tu reconnais mes seins ? Si tu fais un signe de la tête, nous nous retrouverons au lit”. Dans le désert, un serpent à la voix de Marie-Madeleine tente Jésus qui lui résiste et se convainc alors qu’il est le Messie. Sur la Croix enfin, Jésus observe une jeune fille qui se présente comme son ange gardien, arrache les clous et l’aide à descenddre, arguant que le Père l’a suffisamment éprouvé. Jésus retourne aurpès de Marie-Madeleine. Elle soigne ses blessures, lui offre son corps et lui donne un enfant.
Sur son lit de mort, Jésus apprend que son prétendu ange gardien était le Diable qui le tentait une dernière fois. Et Jésus a cédé. Abusé par l’illusion, il apréféré sa vie d’homme, sa vie corporelle, à nature mystique. Jésus a voulu le bonheur simple des petites joies physiques au détriment de sa mission messianique. Mais désespéré d’avoir failli, il exhorte son Père : “Je veux être crucifié et me relevr des morts !”. Le Père le ramène sur le Golgotha, à 33 ans. “Tout est accompli”, se réjouit enfin le Christ, qui meurt dans un sourire sur la Croix. La représentation du Fils de Dieu qui cède aux plaisirs de la chair frappa à ce point les croyants qu’une bombe fut posée la nuit du 22 octobre 1988 par des intégristes dans un cinéma sur la place Saint-Michel, à Paris.
Le corps glorieux de Jésus, martyrisé et ressuscité, ne peut pas être atteint, même par une caresse. Son essence est désormais autre et ce n’est que par la transsubstantiation eucharistique que l’Ecclésia peut communier. Ainsi s’annonce la relation complexe que le christianisme, qui charpente les sociétés occidentales, entretient au corps : il est au centre de la liturgie, préservé comme jamais auparavant, mais aussi sublimé et donc dématérialisé. Le corps ne vaut que comme symbole. “Bienheureux ceux qui, sans avoir vu, ont cru”, conclut le Christ (L’Incrédulité de Saint Thomas, Le Caravage, 1603), après avoir convaincu l’apôtre en le faisant plonger dans ses cicatrices. Inférieur à l’esprit sans doute, le corps, adoré ou supplicié, fait l’objet d’une protection universelle inédite et s’impose comme le terraind e prédilection de la lutte entre l’Ange et la Bête.