Depuis l’altercation violente du 28 février entre Donald Trump et Volodymyr Zelensky dans le Bureau Ovale de la Maison Blanche, et les propos culpabilisateurs du vice-président américain JD Vance envers le dirigeant ukrainien, un vent de panique a soufflé sur le Vieux Continent.
Alors que quelques figures politiques, isolées dans leur combat, tentaient de dénoncer depuis plusieurs années déjà la dépendance de l’Europe au “parapluie américain”, à l’image de l’eurodéputé Raphaël Glucksmann (Place Publique), la fiction est devenue en l’espace de quelques jours seulement réalité. Les dirigeants européens se sont réunis en urgence pour un sommet exceptionnel à Londres le 2 mars 2025. L’occasion pour eux d’exprimer leur soutien au Président ukrainien, présent lui aussi. Et dès le fiasco du Bureau Ovale, une levée de boucliers commune des chefs d’Etats occidentaux avaient permis de renforcer quelque peu la légitimité du combat ukrainien.
Entre autres, le Premier ministre canadien démissionnaire, Justin Trudeau, s’était exprimé sur son compte X (ex-Twitter) : “La Russie a envahi illégalement et injustement l’Ukraine. Depuis 3 ans, les Ukrainiens se battent avec courage et résilience. Leur combat pour leur souveraineté, leur liberté et leur démocratie nous concerne tous. Le Canada continuera à soutenir l’Ukraine et les Ukrainiens dans leur quête d’une paix juste et durable”. Le Président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva, déclarait : “Depuis que la diplomatie existe, il n’y a pas eu de scène aussi grotesque et irrespectueuse que celle qui s’est déroulée dans le Bureau ovale”. “Je pense que Zelensky a été humilié et je pense que, dans l’esprit de Trump, Zelensky le méritait”, ajoute le dirigeant brésilien de gauche, qui a jugé “très possible que l’Europe soit tenue pour responsable du désastre” de la guerre.
Et à raison, puisque Donald Trump n’a pas tardé à rejeter la faute sur les dirigeants européens. Lui, en effet, prône la paix, organisant l’actuel sommet en Arabie Saoudite entre l’Ukraine et la Russie, et qui a aboutit à la conclusion d’un cessez-le-feu dans les airs et sur la mer. Les chefs de gouvernement européens, à l’inverse sont allés dans le sens d’une poursuite du conflit jusqu’à la victoire de l’Ukraine, totale et sans conditions.
Le sommet en Arabie Saoudite, même s’il est parvenu à mettre autour d’une même table les deux belligérants, n’est en fait que peu fructueux, puisque Kiev faisait encore état dans la nuit du 20 au 21 mars 2025, d’une attaque massive sur Kiev impliquant “plus de 200 drones”. Et de fait, les représentants ukrainiens et russes n’acceptent de s’entretenir uniquement par le biais de l’émissaire américain nommé par Trump, Keith Kellog, un ancien général à la retraite, homme de confiance du nouveau locataire de la Maison Blanche. Quand celui-ci avait qualifié Zelensky de dictateur, Mr. Kellog avait déclaré que le Président ukrainien était un “dirigeant courageux et assiégé”. Une manière d’arrondir les angles certes, mais surtout de faire comprendre à Kiev que la seule solution était désormais de négocier. En bon businessman, c’est en effet ainsi que Trump voit les choses, comme le démontre le géopolitologue Pascal Boniface ; la guerre étant mauvaise pour les affaires, il faut y mettre fin. La guerre, si il ne voit aucun intérêt à la mener, c’est-à-dire aucun profit à en retirer, ne l’intéresse pas.
Quant à l’Union Européenne, elle a été brusquement réveillée de sa torpeur administrative et pacifiste (voire naïve) par le brusque changement dans la politique étrangère américaine. La question d’une armée commune à échelle européenne continue d’être évoquée dans les couloirs de ses institutions, mais la réalité est tout autre : une telle armée supposerait la mise en place d’un fédéralisme européen, sur le modèle des Etats-Unis. Où, donc, les Etats européens actuels délégueraient la grande majorité de leurs pouvoirs à un Etat central européen. Hors c’est justement là la hantise des piliers du pacte européen depuis le traité de Maastricht en 1992, et d’autant plus que la forte présence des groupes d’extrême droite au Parlement Européen (ECR, PfE, ESN) empêcherait tout regroupement des forces armées nationales sous un seul et même commandement, ces eurodéputés s’y étant toujours opposés en séance pleinière du Parlement Européen comme au sein de la commission parlementaire Sécurité et Défense.
Emmanuel Macron, lui, tente de faire remplacer l’hégémonie militaire des Etats-Unis en Europe, en passe d’être révolue, par une forte présence française. Sa proposition de remplacer le parapluie américain par un “parapluie nucléaire européen” en est un exemple : ce parapluie fait la part belle à la France, seule puissance militaire à disposer de l’arme nucléaire au sein de l’UE, et qui serait donc l’unique composante de cette protection commune, la mettant ainsi en position de force.
Nous ne pouvons donc dire que les Etats-Unis sont devenus les ennemis de l’Europe, mais, comme le dit la Commission Européenne dans son Livre blanc sur l’avenir de la défense européenne, adopté par les eurodéputés la semaine le 16 mars 2025, “les récentes actions et déclarations de l’administration américaine ont encore accru les inquiétudes quant à la position future des États-Unis à l’égard de la Russie, de l’OTAN et de la sécurité de l’Europe”. L’Europe dénonce ainsi “les votes du gouvernement américain, alignés sur le gouvernement russe”.