Nous avons eu la chance d’interviewer Laëtitia Colombani lors d’une conférence au lycée Hoche à Versailles et de projeter le film adapté de son roman « La Tresse » parut en 2023.**
Ce roman contemporain décrit le destin entrelacé de trois femmes dans trois continents différents: Smita, l’Intouchable indienne, Sarah, l’avocate canadienne atteinte de cancer, et Giulia, la tresseuse sicilienne. Bien que différentes par leur milieu et condition de vie, chacune d’entre elle apporte un regard nouveau sur le sexisme du monde actuel. Par le lien du cheveux, le destin de ces femmes forgées va s’entremêler dans une tresse complexe. Cette interview a été organisée par Parlement’Hoche en collaboration avec Interact’hoche et Cin’hoche, des associations qui collectent des fonds, mettent en place des débats et projettent des films.
Vos films visent-ils un public précis ?
“Je veux montrer. Montrer ce que vivent les femmes qui, dans tous les pays, sont discriminées et enclavées par des chaînes visibles ou invisibles. Depuis que j’en ai pris conscience, j’ai eu pour ambition de rendre visible ce qui ne l’est pas forcément et de raconter des combats pour l’égalité de celles qui constituent plus de la moitié de la population.”
Y-a-t-il pour vous différentes formes de féminisme ?
“Les féministes sont des femmes qui se battent pour une égalité dont tout le monde a envie. Parfois, ce terme a une connotation agressive et certains ont du mal à le comprendre. Il est cependant important de se souvenir que le féminisme n’a jamais tué personne, là où le machisme tue tous les jours. Le féminisme a pour ambition de prouver qu’il n’y a pas besoin de détester les hommes pour être heureuse et demander du respect.”
Y-avait-il des figure de femmes qui vous ont particulièrement marquées ?
“Certaines grandes femmes sont des figures qui ont inspiré et inspirent encore aujourd’hui par leurs écrits : Virginia Wolf, Sylvia Plath, Elisabeth Badinter et bien sûr Simone Veil ont été marquantes par leurs travaux empreints de personnages forts. L’envie d’écrire un livre m’est venue particulièrement après avoir découvert la figure de Blanche Perrin qui a battit, dans le 11e arrondissement de Paris, un foyer pour les femmes sur un emplacement de cimetière de femmes que l’on nomme aujourd’hui le palais de la femme. Cela m’a motivée à raconter cette histoire d’une femme ayant acquis un hôtel et le consacre à d’autres.”
D’après vous, devient on une femme partout au même moment dans le monde ?
“Pour moi, chaque femme vit des expériences différentes et c’est aussi cela qui est mis en avant dans ce livre. Il place en parallèle la vie de trois femmes avec des âges et situations familiales parfois diamétralement opposées. Elles ont cependant en commun une énergie de vie et une envie de changer les choses avec une résilience propre à leur parcours de vie respectif. Elles ont pour ambition de changer leur vie et destin pour elle et pour les autres femmes.”
Y a-t-il un problème dans la représentation des femmes dans le cinéma ?
“Les rôles masculins dans ce milieu sont majoritaires, avec plus de 60%. Passé l’âge de 50 ans, il y a beaucoup moins de rôles féminins développés, ou de représentations dans les arts en général. Après des études à l’École des Lumières, j’ai proposé à un producteur un script avec un personnage principal féminin qui a été refusé au détriment d’un personnage masculin qui aurait eu, d’après lui, plus d’audience. Cette remarque reflète la mentalité de l’époque du cinéma il y a 20 ans et cette manière de penser reste encore parfois présente aujourd’hui.La majorité des hommes étant des producteurs ne souhaitent pas faire évoluer cette représentation.”
Pourquoi avez vous choisi cette forme pour raconter votre histoire ?
“Dès le départ, j’avais l’Inde en tête, l’idée des cheveux m’est venue progressivement. Je cherchais un autre pays où les femmes ont un accès aux études et j’ai choisi le Canada pour Montréal, une ville entre deux cultures. En faisant des recherches sur le commerce, j’ai remarqué que l’Italie était un pays particulièrement actif dans la production de perruques. Je souhaitais rendre l’histoire la plus crédible possible et m’appuyer sur une réalité contemporaine, raconter une histoire qui se déploie dans le monde entier où l’on pourrait comprendre les violences qui s’expriment à l’encontre des femmes.”
Avez-vous eu l’idée du film avant d’avoir celle du livre ?
“Après avoir travaillé sur des longs métrages, j’avais bien conscience que certaines idées étaient très longues à réaliser et demandaient un accord particulier avec les producteurs. J’ai décidé de prendre une année sabbatique et l’idée de ce roman m’est venue. Dans un écrit, il y a une liberté complète, pas de censure. J’ai ensuite eu pour projet de l’adapter et on m’a fait des demandes.”
Pouvoir du cinéma: est-il capable de changer la société?
“Je n’ai pas la prétention de croire que je vais changer le monde, on n’éteint pas un incendie en étant un colibri qui étend ses ailes. J’ai par contre bon espoir que mes battements auront pu faire leur part du combat. Certaines femmes m’ont avouées que mon livre les avait inspirées, une lectrice qui hésitait s’est lancée dans son projet grâce au déclic du livre, et c’est pour moi déjà une grande réussite.”
Y-a-t-il une dimension autobiographique dans le livre ou le film?
“Je n’ai vécu le parcours d’aucune des trois femmes mais j’ai mis de moi-même dans tous les rôles. Je me suis demandée par exemple: « Qu’est-ce qui va me rapprocher moi femme française issue de milieu bourgeois de l’intouchable en Inde? » J’ai puisé cette inspiration de son amour pour sa fille et de son sentiment maternel, si j’étais à sa place, je pense que je serais le même genre de mère qu’elle est dans le récit.”
Y-a-t-il eu d’autres contraintes que celle de la barrière de la langue pendant le tournage?
“Non, c’est vrai qu’il a fallu trouver des acteurs adaptés mais j’ai eu la chance d’avoir un énorme coup de foudre pour le travail des actrices. Le tournage était un vrai travail d’équipe, elles m’ont fait des suggestions qui enrichissait l’écran et ont tout fait pour s’imprégner de leurs personnages: l’interprète de Smita, l’intouchable, est allée à la rencontre de véritables femmes intouchables en Inde et s’est rasée le crâne comme son personnage. L’écriture d’un roman est un travail que l’on fait seul, là où le plateau implique un mouvement constant et un échange d’idées.”
Vous avez assisté à plusieurs de vos projections, est-ce que vous avez remarqué des réactions qui vous ont étonnées ou choquées?
“Lors des toutes premières projections, beaucoup de personnes ont été émues. Bien sûr, il y a toujours dans la réalisation d’un film adapté le risque de décevoir l’auteur ou les réalisateurs ou de ne pas retrouver l’âme du livre, mais j’ai eu des retours très positifs et les gens ont eu envie de lire le livre. Pour moi cette envie de lire est primordiale, surtout à un jeune âge.“
Comment vous êtes venu l’idée d’utiliser l’art pour lutter pour le féminisme?
“Très tôt, j’ai eu envie de faire du cinéma, j’avais déjà jeune un lien prononcé avec l’écriture : ma mère était documentaliste et j’écrivais des textes, des poèmes. Je n’ai cependant pas tout de suite su que je voulais me spécialiser dans l’histoire et le combat des femmes.En cherchant le dénominateur commun des films qui m’avaient marqué, j’ai remarqué que c’était toujours des femmes. Avec le temps, j’ai été confrontée au regard que l’on porte sur une femme, une mère qui travaille et j’ai eu envie de raconter ce que c’est d’être femme aujourd’hui, le côté difficile mais aussi sa beauté.Ce film n’est pas une production qui aurait pu être créé à 20 ans, il est riche des expériences que j’ai fait en grandissant en tant que femme.”
Si vous devriez aujourd’hui choisir d’écrire sur une société pour un prochain roman, laquelle vous inspirerait-elle le plus ?
“Je m’intéresserais à des sociétés très spécifiques avec des contradictions, comme celle de l’Islande ou du Japon je pense. Il me plaît d’apprendre et de continuer de découvrir de nouvelles choses, de trouver des endroits avec des quotidiens inconnus.”
Avez-vous un message que vous auriez aimé entendre plus tôt?
“Faites ce que vous aimez, trouvez ce qui vous plaît, votre talent, ce qui vous motive.J’ai passé un bac scientifique mais j’avais une envie débordante de faire du cinéma et me voilà aujourd’hui. La passion du cœur est la plus importante.”