ANALYSE – La crise, une dynamique inhérente au capitalisme

Cet article retranscrit uniquement les opinions et analyses des auteurs cités, et ne reflète en aucun cas la prise de position du rédacteur.

La bourgeoisie capitaliste, une classe révolutionnaire

“Ce qui distingue l’époque bourgeoise de toutes les précédentes, c’est la transformation incessante de la production, l’ébranlement continuel des situations sociales, l’agitation et l’incertitude éternelles. […] Tout ce qui paraissait solide et fixe s’évapore”, écrivent Marx et Engels dans leur Manifeste du Parti communiste (1848). Selon Marx et Engels, avant 1789, la classe dominante, l’aristocratie nobiliaire appuyée sur la rente foncière, cherchait la stabilité caractéristique du mode de production féodal. Après 1789, la bourgeoisie impose un capitalisme qui fonctionne par ruptures successives.

Parce qu’elle aspirait à faire prévaloir les lois du marché, la bourgeoisie capitaliste ne pouvait que saper les bases de l’Ancien Régime, à commencer par la hiérarchie des ordres. En effet, la force de travail ne peut se présenter sur le marché comme marchandise que si elle est vendue par son possesseur, le travailleur lui-même. Pour Marx et Engels, la bourgeoisie doit donc balayer la société d’ordres, les corporations, pour libérer formellement les paysans et les artisans, soit, en réalité, les contraindre à vendre leur force de travail. Marx le résume très bien dans ces lignes abondamment citées du Manifeste du Parti communiste : “La bourgeoisie a joué dans l’histoire un rôle éminemment révolutionnaire. Partout où elle a conquis le pouvoir, elle a foulé aux pieds les relations féodales […]. Elle a noyé les frissons sacrés de l’extase religieuse, de l’enthousiasme chevaleresque, de la sentimentalité petite-bourgeoise dans les eaux glacées du calcul égoïste. Elle a fait de la dignité personnelle une simple valeur d’échange ; elle a substitué aux nombreuses libertés, si chèrement acquises, l’unique et impitoyable liberté du commerce […]. La bourgeoisie a déchiré le voile de sentimentalité qui recouvrait les relations de famille et les a réduites à n’être que de simples rapports d’argent”.

“La bourgeoisie ne peut exister sans révolutionner constamment les instruments de production, donc les rapports de production, donc l’ensemble de la condition sociale”, continuent Marx et Engels. La bourgeoisie capitaliste, chez Marx, est donc une force fondamentalement révolutionnaire. Cette intuition a ensuite été théorisée dans un cadre libéral par l’économiste Joseph Schumpeter (1883-1950), grâce à sa théorie de la “destruction créatrice”, diffusée dans Capitalisme, socialisme et démocratie (1942). L’innovation de rupture intervient dans un moment souvent morose et avant de relancer un cycle de croissance, elle détruit les emplois de l’activité antérieure, aux techniques obsolètes. Ainsi, une première révolution industrielle débute en Angleterre, pays d’élection du capitalisme, dans les années 1760, avec l’essor de la machine à vapeur. La deuxième est caractérisée par la diffusion de l’électricité dans les années 1860 et la troisième, théorisée par Jeremy Rifkin, est lancée dans la seconde moitié du XXè siècle avec le succès des Nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC). Les économies capitalistes ne cessent de se révolutionner.

La première caractéristique du capitalisme est la liberté d’entreprise, conditionnée à la propriété, par le chef d’entreprise, des moyens de production. Le capitaliste produit ce qu’il veut, quand il veut ; il n’est tenu par aucune planification économique. Ceci ne peut engendrer des crises de surproduction, car il arrive nécessairement que les capitalistes produisent en excès un certain produit au même moment, ce qui nécessite alors de détruire à perte les richesses produites par les travailleurs. Marx et Engels le résument ainsi : “les forces productives matérielles de la société entrent en contradiction avec les rapports de production existants […]. De formes de développement des forces productives qu’ils étaient, ces rapports de propriété en deviennent des entraves. Alors s’ouvre une époque de révolution sociale”. Ici réside la première grosse contradiction du capitalisme : la liberté d’entreprise crée inévitablement du gâchis, ce qui a pour conséquence la perte de produits, des faillites, le chômage.

De la destruction de valeur à l’aménagement spatial

La “crise de surracumulation” du capital entraîne pour les marxistes une dévaluation, donc une baisse du taux de profit. Pour résoudre cette crise, remarque le géographe David Harvey, dans The New Imperialism (2003), le capitalisme a deux leviers : la destruction de valeurs et l’aménagement spatial, ou Spatial Fix.

Toutefois, deux problèmes subsistent. D’abord, le capitalisme use la Terre. Quand le capital déserte, observe David Harvey, “il laisse derrière lui un cortège de dévastation et de dévaluation”. Ensuite, à l’heure du capitalisme tardif, il n’existe plus beaucoup d’espaces vierges où déverser ses capitaux. Il faut donc les fabriquer, ce que David Harvey appelle l’ “accumulation par dépossession”. Déposséder autoritairement les populations, chasser le mode d’organisation antérieur, généralement collectif, pour faire de l’espace un parfait bassin de réception des capitaux dus à la surracumulation. La privatisation des secteurs publics est un des modes de l’accumulation par dépossession. L’immigration, et la constitution d’un vaste sous-prolétariat urbain, en est un autre. Un troisième est la guerre. Les combats anéantissent les capitaux précedemment investis, balaient les infrastructures, ravagent le tissu économique, faisant place nette pour de nouveaux investissements.

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