OPINION – “KILL ALL MEN”, culture du viol : Le procès de tous les hommes ou de toute une société ?

En plein milieu du procès de Mazan, dans une société où chaque femme a une histoire d’horreur et d’humiliation à raconter, où 1 femme sur 2 a déjà subi une violence sexuelle (sondage réalisé en France par Le Figaro en 2017), et où un viol a lieu en moyenne toutes les 2 min 30 (rapport d’enquête VRS 2022), nous pouvons tristement affirmer que la situation est devenue bien plus que critique, et la culture du viol monopolise notre société plus que jamais. Des réactions et protestations face à cette réalité sont justes et nombreuses, et parmi elles, nous retrouvons l’ultime généralisation du bourreau réduit à son genre : KILL ALL MEN, ou « tous les hommes sont coupables ». Mais pourquoi apparaissent de tels discours ?

Tout d’abord, il est bon de préciser et rappeler que le “violeur type” n’existe pas : ces criminels sont en écrasante majorité des « monsieur tout-le-monde ». L’avocate et féministe Gisèle Halimi disait à ce propos : « Le violeur moyen, commun, est un bon français, tristement ordinaire, pas psychopathe et pas immigré » (en déplaise à l’extrême-droite, qui caricature le violeur pour propager ses idéaux xénophobes, et tente de se réapproprier, de façon complètement immonde, ce combat féministe). Pour affirmer cela, le procès de Mazan est l’exemple idéal : ces hommes sont âgés de 21 à 68 ans, sont père, infirmier, pompier, professeur, mari, plombier, chauffeur… ayant des casiers judiciaires vierges. Le violeur n’est pas l’inconnu sous OQTF qui violente et attrape dans un parking, le violeur est le bon père de famille, le petit ami aimant, le copain d’un copain, le collègue, celui qui est trop gentil, celui qu’on croyait très bien connaître (91 % des femmes connaissaient leur agresseur, rapport d’enquête “cadre de vie et de sécurité”). Et ce n’est pas un hasard. Le viol est une des façons d’affirmer un droit de possession sur le corps de la femme. « Le mari avait donné son accord, on ne pensait pas que c’était un viol », voilà ce que disaient les violeurs de Mazan. Parce que Dominique Pelicot était d’accord, le viol de sa femme est toléré. Dominique Pelicot fait du corps de sa femme sa propre propriété, son objet, celui qu’il peut prêter et vendre. Et l’objectification du corps des femmes n’est pas un pauvre cas isolé dans cette affaire ignoble, mais un fait de société. Si ces « monsieur tout-le-monde » venaient à penser qu’un viol n’avait pas lieu car le mari l’avait autorisé, c’est le fruit d’une éducation, d’une culture qui nous impacte tous et toutes. Le fondement même de notre société propage l’idée que l’homme a un droit sur la femme, et ça, jusque dans le code civil. Mais comment en sommes-nous arrivés là ?

La culture du viol, hormis d’être le débat autour de ces actes immondes, est d’abord une oppression terrible qui commence par des éléments qu’on a fini par normaliser dans nos quotidiens. Et tout commence par l’hypersexualisation, non seulement du corps, mais du statut, de l’image entière de la femme. Son corps est un produit de publicité, réutilisé par les médias ou les réseaux sociaux. Et c’est bien naïf de croire que cela concerne uniquement les femmes adultes. Chez beaucoup d’entre nous, tout commence au collège, où il y a encore quelques années, les CPE et les administrations nous habillaient en blouse pour cacher nos shorts au-dessus du genou, nos t-shirts qui laissaient un peu trop apparaître notre nombril, afin de “ne pas déconcentrer les garçons”, alors qu’une majorité d’entre nous n’était même pas encore pubère. Punie parce qu’hypersexualisée (ou parce que femme ?) : une humiliation énorme. Et je pense ne même pas avoir la place de traiter de la pornographie, qui non seulement a grandement participé à l’objectification du corps, à une hypersexualisation d’éléments ou d’objets banals dès lors qu’ils étaient associés à une femme, mais qui a complètement redessiné les relations entre les deux genres. Elle a plus que jamais, dans notre génération, rendu l’oppression (droit de l’homme à disposer quasi complètement du corps de “sa” femme), l’humiliation, et le traitement en objet sexuel, normal. Cette industrie a contribué à un régressement des mentalités de façon bien plus importante qu’on ne puisse l’imaginer. Mais si nous revenons aux racines du problème, la supériorité de l’homme sur la femme, ou plutôt l’infériorité de la femme par rapport à l’homme, nous est inculquée depuis petits : les garçons apprennent à être plus forts que les filles, et les filles plus faibles que les garçons. Et le plus fort, dans l’ordre de la nature, dévore le plus faible que lui, ou possède le plus faible que lui. Quelle que soit la violence faite par un homme sur une femme (la sexualisation, l’humiliation, le rabaissement de sa personne entière à son genre, tout comme le viol, les coups, ou le meurtre) est la conséquence de cette éducation sociétale sexiste. L’homme violeur, par son acte, affirme sa domination sur un être qui lui est soumis, un être qui “naturellement” lui doit être soumis. Ce que certains appellent « virilité toxique » est la concrétisation d’une culture et d’une éducation entière, celles qui traumatisent et tuent. Et il serait hypocrite de dire que cette façon misogyne d’interpréter les relations entre les deux genres n’existe que d’un point de vue masculin : non seulement beaucoup de femmes adhèrent à cette perception, mais tentent de la justifier (“c’est notre rôle, c’est notre place”). Et quand la déculpabilisation publique des victimes de viol semble longue et périlleuse auprès des hommes, qui représentent malgré eux cette condamnation d’une société entière, elle l’est d’autant plus chez les femmes qui se retiennent dans l’émancipation de leurs pensées.

Mais alors, qui est vraiment LE grand responsable ? La violence n’est pas génétique, et l’homme ne naîtra jamais violeur. La culture du viol ne se limite pas à l’étouffement ou au tabou autour de cet acte barbare, c’est le fruit de l’éducation de toute une société. La culture du viol ne sera jamais neutre, elle est politique, elle doit remettre en question la perception que nous avons du monde dans lequel nous évoluons tous et toutes. Elle est sûrement un des plus gros obstacles à l’équité réclamée depuis des dizaines, voire des centaines d’années, et elle commence dès lors qu’une femme est traitée de « pute ».

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