Dans une période de déficit et de dette publics importants, marquée par une légère contraction du PIB ce trimestre, et où l’on entend de toutes parts “il faut réduire la dette publique”, nous pourrions être tentés de céder à un libéralisme économique dur, voire au libertarisme… Ce dernier prône un État minimal, des libertés individuelles accrues et fait confiance au marché autorégulateur. Né sous la plume d’auteurs libéraux tels que John Locke, Friedrich Hayek et Ludwig von Mises, le libertarisme est une radicalisation du libéralisme classique. L’un de ses représentants aujourd’hui est Javier Milei, président de l’Argentine depuis le 10 décembre 2023.
Avec sa tronçonneuse, symbolisant sa volonté de tout démanteler et de réduire l’État à ses seules fonctions régaliennes, l’économiste avait marqué les esprits en 2023 lors de sa campagne. Il avait promis une lutte acharnée contre l’inflation et le péronisme, une idéologie fondée sur l’égalité sociale impliquant des dépenses publiques très conséquentes.
Désormais, l’économie argentine n’est plus en récession, et l’augmentation de l’inflation a considérablement ralenti. Les indicateurs macroéconomiques affichent de bons résultats, mais à quel prix ?
Ces derniers mois, alors qu’un certain nombre de responsables politiques commencent à idolâtrer Javier Milei, mettant en avant les résultats de ses politiques économiques ultralibérales pour lutter contre l’inflation et la dette, la rédaction a jugé opportun de revenir sur la situation économique de l’Argentine, un pays traversant une période tumultueuse depuis l’élection de son président.
Trois mois après son arrivée au pouvoir, en mars 2024, environ 15 000 postes de fonctionnaires ont été supprimés dans plusieurs ministères, à la Banque centrale et au sein d’organismes publics tels que la Sécurité sociale, la caisse de retraite, le service météorologique ou encore l’Agence nationale du handicap (Andis). Cette vague de licenciements a entraîné des conséquences notables, notamment la fermeture de tous les centres d’accueil du pays, rendant impossible l’accomplissement de certaines démarches essentielles pour les personnes en situation de handicap. De plus, des retards ont été observés dans le traitement des pensions ainsi que dans la livraison de médicaments et de fauteuils roulants, rapporte le quotidien argentin Página 12.
Depuis l’investiture du Président, plus de 50 000 postes de fonctionnaires ont été supprimés dans un dessein libertaire.
Gaspard Estrada, politologue à Sciences Po et spécialiste de l’Amérique latine, relève les conséquences de la politique libertaire sur les populations : “Il y a plusieurs manières de voir les choses. Le FMI et la presse économique soutiennent largement les coupes budgétaires drastiques décidées par Javier Milei, mais pendant ce temps, le peuple argentin sombre dans la pauvreté.”
Selon une enquête de l’Observatoire de la dette sociale argentine (ODSA-UCA), publiée le 4 juin, 55,5 % de la population vivait sous le seuil de pauvreté au premier trimestre 2024, un chiffre en forte hausse par rapport au troisième trimestre 2023 (44,7 %) et même à décembre (49,5 %).
Pour Maricel Rodriguez Blanco, maîtresse de conférences en sociologie à l’Institut catholique de Paris et spécialiste de l’Argentine, les résultats des réformes sont loin des promesses initiales : “Il a bien tenu parole en dérégulant et en libéralisant l’économie, mais les effets annoncés ne sont pas au rendez-vous. Il prétendait que c’était la ‘caste’ politique qui en paierait le prix et que ces mesures bénéficieraient à la population. Or, aujourd’hui, ces réformes pénalisent surtout les plus pauvres, qui ont plus que jamais besoin de l’État.”
Elle ajoute que la classe moyenne argentine est elle aussi durement touchée, au point que certains experts estiment qu’elle pourrait disparaître dans les prochaines années.
Quoi de plus pour souligner l’importance de L’Etat dans l’économie. Dans un Etat-Providence telle La France, où le contrat social accorde une place importante à la justice sociale, les dépenses publiques sont un outil crucial pour réaliser cela. Le miléisme, pour la France, ne semble pas être une solution adéquate.