Le temps d’une matinée, Laurent Fabius est intervenu au lycée Jules Ferry pour rencontrer les élèves de terminale de la classe de droit dans le but d’expliquer son rôle dans cette institution.
À son arrivée, M. Fabius prend tout d’abord le temps de réexpliquer l’importance du droit dans la société et le rôle du Conseil constitutionnel en faisant un clin d’œil à l’homme qui a donné son nom à l’établissement :
« Jules Ferry s’est illustré dans son domaine en rendant l’école gratuite. C’est un grand pas. » nous dit-il.
Il ne manque pas de répéter à quel point il est crucial pour les élèves : « Une réflexion de votre part est essentielle sur la place du droit dans nos sociétés. Le rôle d’un citoyen comme vous et moi, c’est de comprendre l’importance du droit et de faire en sorte qu’il soit respecté. C’est ce que nous essayons de faire au Conseil constitutionnel. C’est un conseil de droit et non un conseil politique. »
En effet, il explique qu’à sa création, sous De Gaulle, le Conseil était perçu comme un « chien de garde de l’exécutif ». Aujourd’hui, il s’agit d’une véritable cour constitutionnelle, dont la mission est strictement juridique et non politique. Fabius rappelle une citation de Robert Badinter, un vieil ami, nous dit-il, mais surtout l’ancien président du Conseil constitutionnel sous François Mitterrand :
« Toute loi inconstitutionnelle est nécessairement mauvaise, mais toute loi mauvaise n’est pas nécessairement inconstitutionnelle. »
Ainsi, le Conseil ne juge pas l’opportunité d’une loi, mais sa conformité à la Constitution, souligne M. Fabius avec cette citation.
Il continue en expliquant aux élèves pourquoi il est venu dans l’établissement.
Les audiences délocalisées : une initiative d’ouverture
Fabius a mis en place des audiences en région pour mieux faire connaître le Conseil. Lors de ces déplacements, il rencontre les lycéens et enseignants, il échange avec les magistrats et élus locaux, il préside une audience publique sur des Questions Prioritaires de Constitutionnalité. il retourne dans une université pour expliquer les décisions.
Ces démarches visent à renforcer la compréhension du rôle du Conseil, particulièrement en période de malaise démocratique.
Il détaille ensuite le rôle des Questions Prioritaires de Constitutionnalité (QPC). Introduites en 2010, les QPC ont profondément changé le travail du Conseil. Avant, seules les lois non promulguées pouvaient être contestées. Désormais, tout justiciable peut saisir le Conseil sur une loi existante. Aujourd’hui, 80 % de l’activité du Conseil constitutionnel est désormais consacrée aux QPC (plus de 1 100 examinées depuis 2010).
Dans un second temps, les élèves ont pu poser toutes leurs questions au président du Conseil constitutionnel. Sérieux, ils prennent beaucoup de notes et les questions s’enchaînent. Fidèle à son rôle d’homme politique, Fabius se lance dans des réponses longues et détaillées pour répondre au mieux aux interrogations des élèves.
Comment garantir la neutralité du Conseil constitutionnel ?
« Il y a forcément des critiques de la part de chaque parti, comme pour la réforme des retraites ou la loi immigration. Nous étudions les sujets de façon juridique et non politique. »
Le rôle du Conseil reste inchangé, quelle que soit la majorité politique : il veille au respect de la Constitution. Ses membres doivent répondre à trois critères : compétence, expérience et indépendance d’esprit, c’est-à-dire qu’ils ne dépendent de rien et de personne, selon Laurent Fabius.
Que pensez-vous de l’utilisation fréquente du 49.3 ?
« Le 49.3 est là pour protéger le pouvoir exécutif tout comme la motion de censure est là pour protéger le pouvoir législatif. Cependant, ce système entraîne de nombreux blocages et/ou changements majeurs dans la vie politique, comme vous avez pu le remarquer ! Nous pourrions éventuellement nous inspirer du système allemand pour éviter ces blocages. »
Quelles sont les évolutions souhaitées pour le Conseil constitutionnel ?
Laurent Fabius évoque plusieurs pistes pour renforcer la crédibilité du Conseil :
• Exclure définitivement les anciens présidents de la République de ses rangs.
• Instaurer un délai de trois ans entre une fonction politique et une nomination au Conseil.
• Encourager une meilleure parité dans les nominations des membres.
À travers ces évolutions, le Conseil constitutionnel affirmerait, à son avis, son rôle essentiel dans l’État de droit, garantissant que toute loi adoptée respecte les principes fondamentaux de la République française.
Quel a été votre parcours pour devenir président du Conseil constitutionnel ?
« Je suis devenu juriste après mes études. J’ai ensuite été ministre, puis Premier ministre sous François Mitterrand. J’ai également été président de l’Assemblée nationale. J’ai aussi été président des accords de Paris, je suis donc assez engagé sur la question climatique. Je me suis d’ailleurs réintéressé à cette question dans le cadre de ma présidence au Conseil constitutionnel. »
Est-ce que le changement climatique a une influence sur votre prise de décision au Conseil constitutionnel ?
« C’est intéressant que vous posiez cette question parce qu’une des questions qui a été posées au Conseil constitutionnel était à propos de l’enfouissement des déchets radioactifs. Une association contre le nucléaire était contre le projet de création du site d’enfouissement à Bure. Deux aspects essentiels ont été étudiés sur cette question.
Premièrement, l’impact de notre décision sur les générations présentes et futures.
Deuxièmement, si les déchets ne sont pas mis ici, où seront-ils ?
Cette question posée au Conseil constitutionnel montre que le changement climatique est pris en compte car il a un impact sur les générations futures et que nous prenons en compte les intérêts de celles-ci. »
Un mandat tourné vers la modernisation
Laurent Fabius quittera ses fonctions début mars après neuf années dans l’aile Montpensier du Palais Royal. Il laisse donc une institution qu’il a contribué à moderniser et à rendre plus accessible, tout en défendant son indépendance et son rôle fondamental dans l’État de droit. L’ancien Président de l’Assemblée Nationale Richard Ferrand a été désigné comme son successeur par Emmanuel Macron et le Parlement.