Le Lycéen s’est entretenu avec Sofia ?, de l’Union Syndicale Lycéenne (USL), premier syndicat lycéen de France. L’occasion pour elle d’aborder l’intégralité que mène l’organisation auprès des institutions.
Pourriez-vous rapidement nous présenter l’Union Syndicale Lycéenne, que vous représentez ?
C’est initialement la fusion entre deux syndicats lycéens, le 3 novembre 2023. Toujours dans cette optique d’unir l’ensemble des lycéens, d’autant plus que l’on sait aujourd’hui que l’on a très peu de chances de gagner face à l’extrême droite si on ne s’unit pas. Et nous avons des demandes claires : l’abrogation de Parcoursup, l’abrogation de la réforme des retraites, qui ne rentre pas vraiment dans un contexte lycéen mais touche néanmoins la jeunesse, et la fin du manque de moyens et de professeurs dans les établissements scolaires. L’autre problème aujourd’hui, c’est l’augmentation croissante des inégalités territoriales entre les élèves, et cela est volontairement réalisé au regard des politiques menées. Nous luttons également contre toutes les volontés de mise au pas de la jeunesse, dont font évidemment partie le SNU ou l’uniforme à l’école.
L’USL s’est prononcée en faveur de l’abrogation de Parcoursup, pourquoi ? Et surtout, comment et par quoi comptez-vous le remplacer ?
Parcoursup est la suite de Admission Post-Bac (ATB), à l’époque duquel cette idée-là de ne pas avoir de fac à la fin du lycée n’était même pas envisageable et imaginable. Le fait qu’aujourd’hui, il soit intériorisé qu’il y ait chaque année plus de 80 000 élèves qui n’aient pas de licence, et pas de continuité d’études après le lycée, est totalement inadmissible. Et plus le temps va passer, et plus on va intérioriser le fait qu’il soit normal que notre scolarité s’arrête au lycée, ce qui mettra d’autant plus la jeunesse en danger. D’autant que l’abrogation de Parcoursup ne représente pas seulement la fin d’une plateforme qui fait la passerelle avec les universités, qui font le tri par la suite. C’est aussi mettre fin à un système très opaque dans lequel on est sélectionné, et on ne sait pas par quel biais. Ce n’est pas normal d’avoir aussi peu d’informations sur un sujet aussi important. Il y a également de plus en plus d’élèves qui s’auto-censurent à la suite de Parcoursup, et, de fait, certains élèves s’endettent personnellement en privilégiant le privé au public du fait du peu de gages qu’apporte la plateforme. Cela conduit à une précarisation de la jeunesse qui arrive de plus en plus tôt, et cela ne s’arrange pas. Et il est vrai que la question de ce que par quoi pourrait être remplacé Parcoursup se pose souvent. C’est un système qui est tellement présent et intériorisé, et donc difficilement modifiable. Mais ce que nous demandons avant tout, c’est l’ouverture de places à l’université. Car moins il y a de places, et plus la sélection est importante. Les universités ont donc tendance, soit à devenir élitistes, soit à se paupériser, notamment en banlieue.
Comment vous assurez-vous, en tant qu’organisation représentant les lycéens, que justement la voix des lycéens est bien entendue, et surtout correctement portée ?
Il y a tout d’abord une grande différence entre le syndicat lycéen que nous sommes, et les associations lycéennes nationales, à l’image de Renouveau Lycéen ou de Les Lycéens!. Eux sont plus centrés sur les questions institutionnelles, alors que nous nous attaquons à l’ensemble des sujets, et avons “un pied dans la rue”. Leurs associations sont centralisées, alors que notre syndicat fonctionne grâce à des fédérations locales. Cela nous permet d’avoir un rapport de proximité avec l’ensemble des lycéens, qu’ils soient syndiqués USL ou non. Notre but est de médiatiser les problèmes qu’ils nous font remonter. Je pense notamment à un lycée d’Amiens, où l’hiver dernier, ils n’avaient plus de chauffage.
Vous parlez de vos interventions auprès des lycées, et justement, le 5 décembre 2024, suite aux mesures proposées par le gouvernement Barnier, vous avez appelé sur votre compte Instagram au blocage des lycées, et d’après vous 150 lycées ont répondu à l’appel. Le blocus est-il le seul moyen d’imposer un rapport de force avec le gouvernement, ou avez-vous d’autres formes de mobilisation ?
Ce qui est vrai, c’est qu’en tant que lycéens, nous n’avons pas autant de droits que les professeurs, par exemple. Nous n’avons pas le droit de grève, ni même le droit de manifester à l’intérieur de notre établissement, quand bien même nous avons une liberté d’expression assez large. Nous sommes en fait infantilisés sur un grand nombre de luttes. Mais les blocus ne datent pas d’aujourd’hui, parce que dès mai 68, beaucoup d’établissements avaient été bloqués contre les directives gouvernementales. Le fait est que le blocus est aujourd’hui notre principal moyen de nous faire entendre, afin de faire bouger les choses. Parce que cela est médiatisé, que cela attire du monde, et ainsi la lutte en est d’autant plus visible. Après, on ne se base pas uniquement sur cette méthode, parce que nous siégeons également au Conseil Supérieur de l’Education, ce qui permet de faire porter la voix lycéenne au sein des institutions.
Le nombre d’heures de cours au lycée continue de faire débat. Réduire les vacances afin de mieux répartir le nombre d’heures par semaine est-elle quelque chose de souhaitable?
Dans le système éducatif actuel, on sait très bien que si cela est mis en place, ce n’est pas un cadeau que nous fait l’Etat. Quand bien même cela ne “coûte rien”, il y aura forcément une entourloupe derrière. A titre personnel je n’y suis pas défavorable, maintenant il faut voir comment cela est mis en place, mais l’idée de réduire les vacances pour alléger les vacances est plutôt bonne. Le problème est que l’on a des journées à rallonge, avec six heures de spécialité par semaine en plus du tronc commun, je vois donc mal comment cela pourrait être mis en place. Je pense donc qu’il faudrait aller plus loin dans la réforme, revoir le modèle dans son ensemble. C’est donc peut être une partie de la solution mais cette réforme ne suffirait pas à elle seule.
Pourquoi s’opposer au port de l’uniforme dans les établissements scolaires en France, cela ne permettrait pas au contraire de mettre chaque étudiant sur un pied d’égalité peu importe leur milieu d’origine?
Je pense que cela rejoint ce que je disais tout à l’heure, cette mise en place de l’uniforme par Macron c’est d’une part une volonté de mise au pas de la jeunesse, parce que de fait c’est faux que tout le monde se sent sur un pied d’égalité seulement car l’on porte les mêmes vêtements. Au contraire, il y aura toujours des détails qui permettront de voir que quelqu’un est d’une classe sociale plus élevée qu’un autre, comme par exemple ne pas porter les mêmes chaussures. De plus ce sera aux parents de devoir payer les uniformes et de fait les parents n’ont pas à et une grande partie d’entre eux ne pourront payer ces uniformes. Ces uniformes cachent la personnalité de chacun et chacune, je pense que tout le monde a droit à la liberté d’expression, et cela passe aussi par la manière dont on s’habille. Il faut arrêter de dicter à la jeunesse ce qu’elle doit faire jusque dans les moindres détails. C’est comme l’abaya, qui est une mesure islamophobe, et qui montre bien que la jeunesse est dictée ce qu’elle doit faire constamment.
Qu’appelez-vous Elisabeth Borne à faire en tant que nouvelle ministre de l’Éducation nationale?
Plein de choses. Pour être concise et précise, déjà l’abrogation de Parcoursup, ouvrir des places en faculté, car l’abrogation de Parcoursup seule ne suffira pas, mettre plus de moyens dans l’éducation nationale. Malheureusement sur ce point on sait que ce n’est pas du tout la priorité d’Elisabeth Borne, ni de l’Etat de manière générale, bien au contraire ils retirent 4 000 postes, ce qui prouve qu’ils ne sont pas du tout sur la même ligne que nous. Il faut également prendre en compte la dimension de la santé mentale qui est invisibilisée aujourd’hui. Mais cela passerait par la réduction d’heures de cours, car les lycéens sont submergés par le travail et n’ont plus de vie sociale, par la rénovation des lycées, car aller dans un lycée qui n’a ni porte, ni fenêtre, ni chauffage, forcément cela impacte la santé mentale des lycéens. Au lieu de fermer les yeux sur cela, nous les invitons à mettre un pied dans la banlieue qu’ils critiquent tant, parce que les lycéens de banlieue ne sont pas des sauvages comme ils pourraient le prétendre. Je sais qu’il y a aussi eu le harcèlement qui a beaucoup été dépolitisé par l’extrême droite. Aujourd’hui il y a du harcèlement et c’est un fait, et nous sommes contre le harcèlement dans tous les milieux. Il faut aussi reconnaître que ce qui a été fait par Gabriel Attal à ce sujet était nécessaire et a été bien fait. Mais ce que nous reprochons à Gabriel Attal c’est de ne pas élargir ce cercle à d’autres luttes, d’autres luttes qui doivent être autant mises en lumière que le harcèlement. il n’y a pas de hiérarchie des luttes, nous sommes tous concernés. Il ne faut pas enjoliver le travail d’Attal, notamment en raison des politiques islamophobes qu’il a mené, et qui sont maintenant reprises par Bruno Retailleau.