Guerres Totales, voici la maxime de nos conflits modernes. La Seconde Guerre Mondiale fut le conflit précurseur d’une nouvelle myriade de conflits où attaquer volontairement les civils -qui étaient épargnés jusqu’ici- est devenu monnaie courante. C’est face à la disparition de l’éthique dans les guerres, présente depuis des siècles durant, que furent posées il y a plus de deux siècles les premières pierres du Droit International Humanitaire, le DIH: des règles visant, non pas à éviter la guerre, mais bien à préserver l’humanité dans les conflits. Néanmoins, vous n’êtes pas sans savoir que celui-ci n’est pas toujours respecté par les dirigeants, et est même souvent bafoué. Et pourtant, connaît-on réellement le Droit International Humanitaire ? Est-il aussi inefficace qu’on le laisse penser ? C’est avec ces interrogations de lycéen que je suis allé chercher des réponses auprès de Caroline Brandao, la responsable du pôle droit international humanitaire de la Croix-Rouge. Je vous propose ainsi une initiation à cette matière ambivalente qui résonne aujourd’hui encore plus que jamais avec la situation actuelle dans le monde.
Le DIH
Avant de commencer, qu’entend-on par Droit International Humanitaire?
C.B : Le droit international humanitaire (DIH) est un droit qui vise à protéger en premier lieu les personnes qui ne combattent pas ou plus en temps de guerre (des civils, des journalistes, des blessés, le personnel humanitaire et des prisonniers de guerre) mais aussi des infrastructures civiles comme des hôpitaux, des habitations ou des écoles. Son second objectif consiste à limiter les moyens et les méthodes de combat, en interdisant l’usage de certaines armes, ou encore certaines manières de faire la guerre. Il ne s’applique qu’en temps de guerre, c’est à dire qu’il n’est pas actif en cas de troubles internes (des manifestations par exemple), là où c’est le droit national qui s’applique. Pour autant, il peut passer à l’action si ces troubles basculent en conflit armé. Cinq grands principes régissent ses actions:
- Le principe d’humanité, qui est fondé sur la recherche d’un équilibre entre d’un côté les nécessités militaires et de l’autre les impératifs humanitaires.
- Le principe de distinction, qui consiste à forcer les combattants à faire la part entre un objectif civil et un objectif militaire.
- Le principe de proportionnalité : utiliser une arme qui est proportionnelle à l’objectif ciblé.
- Le principe d’interdiction des maux superflus qui découle du principe précédent : ne pas utiliser des armes qui infligent des souffrances inutiles.
- Et enfin le principe de précaution qui vise à éviter au maximum les dommages collatéraux engendrés par ces conflits.
Ce droit est donc modelé à l’image de nos conflits modernes ?
C.B : Eh bien oui et non ! Dans les faits, celui-ci a toujours existé. On retrouve ses prémices dans les codes, les rituels et les traditions au sein de différentes cultures anciennes qui avaient déjà adopté certains de ses grands principes, comme par exemple le fait d’épargner les enfants durant les conflits armés. Néanmoins, ce droit était dispersé et l’idée de le codifier n’apparut qu’à partir du XIXe siècle avec le traumatisme d’un homme : Henri Dunant.
Après avoir assisté à la bataille de Solférino de 1859, il entreprit le projet de réunir des Etats afin de leur faire signer des conventions pour éviter de nouvelles batailles sanglantes : le DIH était alors né. Pour autant, il faudra attendre 90 ans avant que les premières pierres de ce droit ne soient posées par la promulgation en 1949 de quatre grands textes : Les conventions de Genève, qui furent complétées progressivement par deux protocoles additionnels (1977) et d’autres traités interdisant l’utilisation de certaines armes comme l’arme nucléaire en 2021.
Les textes de lois sont-ils suffisants pour faire respecter le DIH ?
C.B: Malheureusement non ! Même si les Conventions de Genève ont été acceptées universellement par la totalité des Etats de la planète, il faut bien admettre que certains groupes armés ne le reconnaissent pas. De plus, ratifier une convention ne garantit pas pour autant son respect !
Ce sont des institutions qui se portent généralement garantes du respect du DIH. Les premières qui nous viennent à l’esprit, ce sont les Etats qui doivent faire respecter le DIH. Bien sûr, le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge est chargé de diffuser ce droit et de le faire respecter en menant des actions sur le terrain ainsi que des activités de sensibilisations. Mais il existe aussi d’autres institutions plus spécialisées
qui peuvent enquêter et juger les violations du DIH comme la très célèbre Cour Internationale de
Justice qui est habilitée à juger des Etats.
Comment sont classifiées et réprimées les violations au DIH ?
C.B: Il existe effectivement une classification particulière des violations du DIH. Classé selon leur
gravité, on retrouve en premier lieu les crimes de guerre : c’est quand un manquement à l’un des cinq principes du DIH a été observé dans le cadre d’un conflit armé. Au-dessus se trouvent les crimes contre l’humanité et les génocides (plan d’élimination d’une population ciblée).
Effectivement, le DIH peut échouer dans certains conflits et être bafoué. Entrera alors en jeu le droit pénal international, une branche cousine du DIH, plus répressive, chargée de punir les manquements à ce droit.
Civils
Pensez vous que les civils sont de plus en plus touchés et visés durant les conflits armés?
C.B : La réponse est clairement oui, on constate que les civils sont de plus en plus ciblés durant les guerres : les chiffres sont d’autant plus frappant qu’on a observé que sur le conflit entre Israël et les territoires occupés palestiniens, c’est près de 200 civils qui perdent la vie chaque jour. Pire : on constate que dans ces derniers conflits armés, il y a aussi eu énormément de ciblage du personnel humanitaire et de journalistes. On a donc bien une détérioration de la situation du DIH dans le monde, qui se fait de moins en moins respecter au fil des ans.
Comment expliquez vous ce phénomène ?
C.B : Alors cela peut s’expliquer par le fait qu’autrefois les guerres se déroulaient à l’extérieur des villes, alors qu’aujourd’hui on assiste à des conflits armés qui se déroulent constamment en zone urbaine. Que ce soit en Syrie à Alep ou alors plus récemment en Ukraine à Marioupol, Boutcha, etc., où ces villes ont été totalement rasées de la carte. Alors forcément, ces guerres « urbaines » font que les civils se retrouvent au plus près des conflits armés et sont donc beaucoup plus exposés. aux risques qu’avant. On retrouve ces guerres urbaines des la Seconde Guerre Mondiale, avec la bataille de Stalingrad par exemple, donc ces affrontements en ville et le ciblage des civils existaient déjà au XXe siècle, mais ce sont bien les conflits de ces derniers mois qui ont accentués ce phénomène.
Actions
Intervenez-vous sur le terrain ? Quelles sont les actions qui vous permettent de veiller au respect du DIH ?
C.B: Oui, la Croix-Rouge est présente sur une centaine de conflits armés dans le monde et mène des actions humanitaires (acheminement de matériel humanitaire, évacuation et soin de la population..). Elle y effectue aussi des actions plus spécifiques, à commencer par rappeler aux combattants leurs obligations. La Croix-Rouge est aussi présente dans des lieux de détention dans l’optique de veiller au respect de la dignité des prisonniers de guerre. Elle effectue aussi des missions de recherche sur les personnes disparues durant les conflits et œuvre à les retrouver et ainsi à réunir à nouveau des familles qui auraient pu être séparées par la guerre.
Le DIH, lui, est un droit qui s’applique essentiellement sur le terrain pour intervenir en quelque sorte afin de “couper le problème à la source”, c’est-a-dire en posant un cadre au conflit armé : c’est un droit qui se veut préventif, la où le droit pénal se veut répressif.
Ces actions ont-elles porté leurs fruits ?
C.B : Ces mesures ont bien donné des résultats, mais ceux-ci ne sont pas suffisants. On entend souvent parler de ce qui ne fonctionne pas avec le DIH en évoquant ses violations, ses limites, ses défauts mais on oublie souvent son utilité et ce qu’elle permet d’éviter : à Marioupol, durant le conflit russo ukrainien, la Croix-Rouge a formulé à 7 reprises une demande d’accès humanitaire à la ville pour pouvoir évacuer la population civile. C’est finalement au bout de la septième tentative que l’on pu accéder à la ville assiégée et aux civils. Sans le DIH, ces personnes seraient sans doute mortes sous les bombardements.. Ce jour-là, le DIH a donc permis de sauver des vies.
Mais pour autant, il faut reconnaître que, en l’état actuel, celui-ci n’est pas suffisamment reconnu et que ces sauvetages ne sont jamais garantis. Pour autant, malgré ses limites, le droit international humanitaire a le mérite d’exister. Car bien qu’il ne soit pas respecté dans le cadre de certains conflits, il permet et a permis à de nombreuses reprises d’éviter le pire, sans pour autant garantir le meilleur.
Demain
Selon vous, pourquoi est-il important de parler aux jeunes du DIH?
1C.B: Il est important que les jeunes puissent savoir qu’il existe bien des règles dans la guerre dans la mesure où ce seront les militaires, les journalistes et les décideurs politiques de demain. Ils auront un rôle futur à jouer et porteront la vision et les valeurs du DIH. Ces nouvelles générations vont peut-être vouloir mieux faire respecter le DIH et faire en sorte que l’histoire ne se répète pas.
Crédits Photos :
- Photographie d’archive du CICR 2021 d’acheminement d’aides humanitaires au Cameroun issu du blog icrc : République centrafricaine : les actions du Comité international de la Croix-Rouge en 2023 ↩︎
- Dessin d’illustration réalisé par Ilona BROUTIN (février 2024) ↩︎
Article réalisé par Camille DULUC (journal Le Lycéen, n°1 : février 2024)