Le lundi 16 décembre, le chancelier allemand Olaf Scholz a perdu le vote de confiance qu’il avait sollicité, n’obtenant le soutien que de 207 députés, tandis que 116 se sont abstenus et les 367 restants se sont opposés à lui. Ce vote de confiance a eu lieu après le limogeage du ministre des finances libérales, Christian Lindner, sur fond de différends insurmontables concernant la politique économique et budgétaire, qui avait fortement fragilisé la coalition. Cet évènement s’est suivi de la dissolution du Parlement le 27 décembre par le Président allemand, Frank-Walter Steinmeier, et l’annonce d’élections législatives anticipées le 23 février 2025. Mais alors quels sont les scénarios envisageables de ces élections? Quels en sont les enjeux, en particulier pour l’Europe?
L’extrême droite en embuscade
C’est donc la fin de la coalition d’Olaf Scholz au pouvoir depuis 2021. Une coalition composée des libéraux du FDP (Freie Demokratische Partei), des Verts et des socialistes du SPD (Sozialdemokratische Partei Deutschlands) qui s’est déchirée sur les moyens de relancer l’économie allemande. Cette instabilité politique profite au parti d’extrême droite allemand, l’AFD (Alternative für Deutschland).
Plus tôt cette année, en septembre, l’AFD affichait des chiffres record aux élections régionales, en arrivant en tête en Thuringe avec 32.8% des voix, et recueillant 30.6% des suffrages en Saxe, soit seulement 1,3 points de moins que la CDU. C’était la première fois qu’un parti d’extrême droite arrive en tête dans une région allemande depuis la seconde guerre mondiale. Si l’AFD n’a pas pu par la suite participer aux gouvernements de ces deux régions, puisqu’aucun parti n’a souhaité s’allier avec eux, elle a cependant durablement fragilisé la coalition d’Olaf Scholz.
Les premiers sondages de ces nouvelles élections confirment la courbe ascendante que suit l’AFD. Si c’est le parti conservateur de la CDU (Christlich Demokratische Union Deutschlands) qui vire en tête dans les sondages, avec 32% des intentions de vote, l’AFD est deuxième avec 20%. C’est seulement 15% pour le SPD et 13% pour les verts.
Les troubles de l’ingérence Musk
Alors que les soutiens à l’extrême droite ne manquent plus, c’est Elon Musk, devenu l’une des personnalités les plus influentes du monde, qui à son tour encense l’extrême droite. Dans une tribune du journal “Welt am Sonntag”, le directeur de Tesla estimait que l’Allemagne “était au bord de l’effondrement économique et culturel” et que l’AFD était “la dernière lueur d’espoir pour ce pays”. A cela s’ajoutent ses déclarations sur X, dans lesquelles il compare le Président de la république allemande à un “tyran antidémocratique”. Elon Musk va même jusqu’à travailler main dans la main avec l’AFD, en laissant son équipe mener des échanges avec celle d’Alice Weidel, la tête de liste du parti.
Cette ingérence a largement été critiquée par les cadres de la démocratie allemande. Olaf Scholz, lors de ces vœux, a réprimandé l’engagement de Musk dans les élections allemandes, c’est aussi le cas d’Emmanuel Macron qui estime que Musk soutient “une nouvelle internationale réactionnaire”.
Quels scénarios envisagés?
Si l’extrême droite réalisera sans aucun doute un score important aux élections législatives de février, elle demeura vraisemblablement un parti d’opposition, puisqu’à ce jour aucun parti n’a accepté de former une coalition avec elle. Une décision compréhensible lorsqu’on analyse le programme de l’AFD. Une politique migratoire radicale, qui vise à fermer complètement les frontières et à sortir du système d’asile de l’Union européenne, qui s’accompagne d’une série de mesures toutes aussi ubuesques. Pour n’en citer que quelques-unes, le programme de l’AFD vise à sortir de l’Union européenne, et de la zone euro, abandonner la politique climatique et rétablir le gazoduc Nord Stream qui relie l’Allemagne à la Russie. Le scénario le plus probable reste donc celui d’un gouvernement de coalition entre la CDU et le SPD, et puisque l’outre-Rhin est un régime parlementaire, ce serait alors le chef du parti arrivé en tête aux élections qui serait nommé chancelier, à savoir Friedrich Merz.
Cette coalition ne s’annonce pourtant pas facile et pour cause, les deux projets s’opposent sur tout. Les conservateurs veulent restreindre drastiquement les prestations sociales pour les individus en situation irrégulière et créer des centres de départ afin de faciliter les expulsions, notamment en direction de la Syrie et de l’Afghanistan. Les réformes de Scholz sur les naturalisations accélérées seraient alors abrogées. Ces réformes sociales vont de paire avec une volonté de libéraliser l’économie, en allégeant les impôts, principalement sur les successions et les capitaux, tout en abaissant les charges fiscales des entreprises et réduisant de 100 milliards les dépenses publiques. L’objectif est simple, 2% de croissance d’ici 2029, un objectif ambitieux alors que l’Allemagne est rentrée en récession économique en 2023, avec une diminution de 0,3% du PIB, en raison de l’explosion des prix de l’énergie qui a durement touché l’industrie manufacturière, qui représente 20% du PIB contre seulement 10% en France. Tandis que les socio-démocrates proposent un miroir inversé de ce programme. Le SPD mise sur une augmentation du salaire minimum, et met l’accent sur une politique d’aide au logement, alors que l’Allemagne fait face à une flambée des prix de l’immobilier comme le reste de l’Europe. En matière fiscale, les sociaux-démocrates affichent l’ambition de réduire les impôts des ménages les plus modestes et taxer davantage les plus fortunés.
Quelles conséquences pour l’Europe?
Alors que la France s’est enlisée dans une crise politique, ce qui restreint sa capacité à agir en Europe, le vieux continent retient son souffle en attendant ces élections qui s’annoncent cruciales. Il est clair que l’Union européenne serait durablement affectée par la perte de ses deux acteurs majeurs. Cependant le retrait de l’Allemagne des affaires européennes serait conditionné à l’arrivée de l’AFD au pouvoir, tandis que les autres partis sont conscients de la centralité de cette organisation dans la vie du continent, et d’autant plus avec l’investiture de Donald Trump en tant que Président des Etats-Unis.
Il se peut même que ces élections renforcent le pouvoir allemand en Europe. Friedrich Merz est bien conscient que la réussite de son mandat dépend de sa capacité à faire plier l’Europe à ses exigences. Pour cela, il pourra compter sur Ursula Von Der Leyen, également issue de la famille politique de la CDU, pour faire plier la Commission européenne. A cela s’ajoute le soutien décisif de Manfred Weber, président de l’EPP (Parti Populaire Européen), à savoir du plus gros parti du Parlement européen, qui concentre 26% des députés, et homme politique de la CSU, un parti si étroitement proche de la CDU qu’ils sont souvent traités comme une seule et unique force. Enfin Friedrich Merz saura peser au Conseil européen, en tant que chef d’Etat de la première puissance économique européenne. Si ces trois acteurs soutiennent le Green Deal européen, le probable futur chancelier veut s’opposer à l’interdiction de la vente de voitures à moteur thermique en Europe à partir de 2035, en raison du poids important de l’industrie automobile en Allemagne. Le candidat de la CDU prévoit également de réduire les formalités administratives, qui selon lui, paralysent les entreprises allemandes, dont 60 % sont liées à l’Union européenne, et de réduire l’immigration. Cependant cela ne signifie pas qu’il sera en mesure d’agir à sa guise. En effet la Commission européenne n’est pas pour autant du même bord politique que lui en matière de compétitivité, de déréglementation et d’environnement, en particulier la DG CLIMA. Plus encore, les Verts et les socialistes du Parlement se sont déjà opposés à la réduction du fardeau bureaucratique, ce qui contraint Manfred Weber à chercher des alliés plus à droite de son parti.