OPINION – Démocratie et l’extrême-droite convergent-elles ?

C’était, le plus récemment, en Allemagne, peut-être le pays le plus sensible aux mouvements d’extrême droite, où un nouveau seuil a été franchi : le parti d’extrême droite, Alternative für Deutschland (AfD), a recueilli 20,8 % des voix, seulement 8 points derrière les conservateurs de la CDU (Union chrétienne-démocrate). Quelques jours auparavant, Friedrich Merz, désormais chancelier, a eu recours au soutien de l’AfD pour faire passer une motion visant à durcir la politique migratoire. Ce fut la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et cela a brisé un tabou vieux de 80 ans. Cela a relancé un débat au Bundestag sur la compatibilité de l’extrême droite avec la démocratie allemande, avec une volonté de certains partis “traditionnels” d’évincer le très populaire AfD.

Le cordon sanitaire en Allemagne, ou l’arc républicain en France, qui consistent à “faire barrage” à l’extrême droite et à l’empêcher d’atteindre certaines fonctions de haut grade, peut nous amener à nous interroger sur l’irrationalité de défendre la démocratie (donc respecter le choix du peuple) et, simultanément, d’écarter systématiquement certains partis ou certaines idéologies pourtant “populaires” auprès du public de l’espace public.

À l’heure où les partis politiques d’extrême droite gagnent de plus en plus de terrain partout en Europe et où de nombreux tabous acquis après la Guerre sont très vite délaissés, il m’est paru important de revivifier le débat, en retournant aux fondements d’une démocratie, à ses valeurs cardinales, et aux raisons pour lesquelles l’extrême droite reste toujours (même si un peu moins qu’auparavant) un mouvement contesté.

Si l’on regarde plus précisément les valeurs fondamentales attachées à une démocratie, à notre démocratie actuelle, nous pouvons être frappés par une contradiction flagrante entre la “théorie” et la “réalité”. Alors, quelles sont ces valeurs ?

Nous le savons tous, la démocratie est fondée sur la participation des citoyens, l’égalité, la responsabilité, la transparence, le système multipartite, la séparation des pouvoirs pour empêcher les abus, des élections libres et l’État de droit.

Si vous avez pu remarquer “un grand absent” dans cette liste, tant mieux pour vous ! Il s’agit de la tolérance politique. C’est cette valeur même qui rend illégitime l’extrême droite et quasiment tout ce qu’elle défend.

La tolérance politique fut théorisée à une époque où sévissaient en Europe les guerres de religion. Ainsi, à l’origine, elle a servi à mettre fin aux conflits entre catholiques et protestants, en définissant les règles et conditions auxquelles la diversité des idées, opinions et croyances pouvait être supportée et tolérée dans une même société.

Parmi les politiques phares de l’extrême droite, nous pouvons discerner une qui semble être universelle à tous les partis appartenant à ce bord politique : le “durcissement migratoire”. Ceci n’est qu’un euphémisme politiquement correct pour dissimuler la vraie nature de la pensée de l’extrême : c’est nier à l’autre sa place dans une société, ainsi que nier ses droits fondamentaux, notamment celui au droit d’asile et à une vie digne.

Le projet albanais de la Première ministre italienne Giorgia Meloni illustre ceci : les migrants arrivés en Italie ne peuvent plus se réfugier en Italie mais seraient transportés dans un autre pays, hors de l’UE et contestable au niveau du respect des droits humains (d’où la raison pour laquelle la justice italienne a interrompu sa mise en œuvre). Un déguisement pour un déplacement forcé ?

Ne pas accorder une place à ces individus qui fuient très souvent la violence, la répression et la guerre dans les sociétés occidentales est ce qui, très précisément, rend illégitimes et fallacieux tous les discours grandioses sur “nos valeurs humanitaires européennes et démocratiques”. Cette hypocrisie ne concerne pas uniquement les immigrés mais aussi ceux qui sont des résidents depuis plusieurs générations. Or, Éric Zemmour exclamait, le 29 octobre 2023 sur un plateau télévisé : “L’islam n’est pas compatible avec la République” (1). Cette citation serait, paradoxalement, la preuve de l’incompatibilité du discours d’un élu avec les valeurs démocratiques…

Nous observons cette tendance chez les Américains aussi : après l’investiture de Donald Trump, la secrétaire américaine à la Sécurité intérieure, Kristi Noem, dans une vidéo prise stratégiquement dans une prison où sont détenus “des terroristes vénézuéliens”, a menacé : “Ne venez pas !” (2)

C’est précisément le refus de l’autre (l’étranger), les discriminations basées sur la religion, l’ethnicité, le sexe ou tout autre élément qui fondent l’incompatibilité de l’extrême droite avec la démocratie.

Cependant, il faut éviter de désigner des boucs émissaires. Ce mouvement idéologique, depuis les attaques du 11 septembre 2001, consistant à “durcir” certaines règles et à aller à l’encontre du principe phare de l’humanisme qu’est le cosmopolitisme, n’est pas uniquement semé dans les partis d’extrême droite. Bien loin de là…

Il faut donc, en tant que citoyens, ne jamais oublier : bien que la règle de la majorité soit au cœur de la démocratie, cela n’équivaut pas à une tyrannie de la majorité. Dans une véritable démocratie, les droits de tous les individus sont égaux et doivent être respectés, quelle que soit la personne qui occupe le pouvoir. Cela est sain, voire nécessaire. La démocratie se nourrit de l’ouverture et de la richesse de la pensée : en supprimant les droits et les libertés de la minorité, la majorité ne progresse pas.

À l’aube des contestations de l’indépendance de la justice, dans l’affaire du détournement des fonds européens, il est également crucial de continuer à défendre l’État de droit face aux attaques visant à décrédibiliser cette institution pourtant cruciale pour notre démocratie.

Le Figaro, “Ne venez pas” : l’administration Trump avertit les migrants depuis une mégaprison au Salvador 27/03/2025

Les Echos, Eric Zemmour : « L’islam n’est pas compatible avec la République » 29/10/2023

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