Il y a six mois, l’élection présidentielle roumaine prenait un tournant historique. Le 24 novembre 2024, Calin Georgescu arrivait en tête du premier tour avec 23 % des voix. Favori, il semblait déjà promis à la présidence. Pourtant, coup de théâtre : la Commission électorale décide d’annuler le scrutin, évoquant une possible ingérence russe.
Pourquoi une telle décision, alors même que certains instituts de sondage voyaient Georgescu comme le futur président ? Comment en est-on arrivé à ignorer le choix du peuple roumain ? Serait-ce le début de la fin pour la démocratie en Roumanie ?
L’annulation du premier tour de l’élection présidentielle roumaine n’est que le reflet d’un malaise plus large au sein du monde politique, particulièrement en Europe. La Roumanie n’est pas un cas isolé. (Retrouvez d’ailleurs ma série “Démocratie en danger” sur LeLyceen.fr.)
Pays européen affichant l’un des plus forts taux d’inflation en 2024 (près de 5,8 %), la Roumanie est aussi marquée par la pauvreté (24 % de la population sous le seuil de pauvreté en 2018) et par une grande vulnérabilité aux sanctions contre la Russie (qui représentait encore 4,8 % des importations en 2021). Ces décisions, imposées par l’Union européenne, ont contraint le pays à faire d’importants compromis économiques et de souveraineté, comme l’ouverture à des consortiums européens pour l’exploitation du gaz roumain, ou encore le recours à des importations plus coûteuses pour remplacer les produits russes.
Dans ce contexte, une question a émergé dans la société roumaine : “Pourquoi devrions-nous accepter ces règles imposées depuis Bruxelles ?” Une interrogation renforcée par un climat idéologique tendu, marqué par les débats sur l’immigration et le soutien à l’Ukraine.
C’est dans cet environnement que Calin Georgescu, jusque-là personnalité marginale de la vie politique, s’est imposé. Au fil de ses interventions, il est devenu la figure de proue d’une opposition farouche à l’establishment pro-européen. Son message est clair : anti-système, anti-UE, anti-OTAN — un discours qui a trouvé un écho certain.
Il axe sa campagne sur TikTok, un choix stratégique dans un pays où près d’un Roumain sur deux utilise la plateforme. Mais c’est justement cet usage intensif du réseau social qui suscite les soupçons de la Commission électorale : elle évoque une diffusion coordonnée de contenus politiques via plus de 30 000 comptes, laissant entendre une possible ingérence orchestrée depuis Moscou.
L’argument aurait pu tenir… sauf qu’aucune preuve concrète n’a été apportée. Pire encore : TikTok a officiellement démenti avoir détecté de telles activités. Alors s’agit-il simplement d’une erreur judiciaire ? Pas vraiment : le Conseil de l’Europe, venu soutenir ses homologues roumains, a confirmé la légitimité de l’annulation dans un rapport officiel.
Pourquoi un tel acharnement sur un candidat sans preuves solides ? D’autant plus qu’on sait, par exemple, que Marcel Ciolacu, Premier ministre en fonction et candidat social-démocrate, a investi 11 millions d’euros dans sa campagne sans être inquiété. Curieux, non ?
Depuis l’annulation du scrutin, un profond sentiment de trahison et de colère traverse la population. « Je suis ici pour la démocratie, parce qu’à mon avis, elle n’existe plus », confie Adriana Iercau, enseignante de 60 ans, lors d’une manifestation à Bucarest. Peu relayées dans les médias européens, ces manifestations massives révèlent un véritable attachement des Roumains à leur droit de choisir. L’un des slogans les plus entendus : “Nu ne luați votul !” (“Ne nous volez pas notre vote !”), devenu un cri de ralliement contre une démocratie perçue comme confisquée.
Le plus troublant dans cette affaire reste l’absence totale de transparence : aucun référendum, aucun débat public, aucune commission indépendante n’est venue éclaircir les accusations d’ingérence. Ce silence institutionnel alimente des soupçons légitimes dans une société en quête de clarté.
Aujourd’hui, six mois plus tard, le second tour est lancé. George Simion, candidat le plus proche idéologiquement de Calin Georgescu via l’Alliance pour l’unité des Roumains, part favori. Les portes du palais Cotroceni semblaient grandes ouvertes… jusqu’à ce que le candidat pro-UE et pro-OTAN l’emporte.
Certains se sont rendus aux urnes pour voter pour le candidat remplaçant, d’autre non, n’y croyant déjà plus. Près de 36,28 % des électeurs ne se sont pas rendus aux urnes. Sans revenir en plus sur les théories de fraudes, liées à plusieurs irrégularités : électeurs décédés toujours inscrits, votes massifs de la diaspora roumaine notamment en Italie et en Allemagne…
Toute cette histoire… Pourquoi ? Pour une leçon, certes amère, mais essentielle : quand la souveraineté populaire devient une formalité administrée par des technocrates, le lien entre citoyens et institutions se brise. Cette rupture favorise l’abstention, la radicalisation et la défiance à l’égard de tout processus électoral. C’est ce qui se passe aujourd’hui en Roumanie.
Le plus triste dans cette histoire, c’est son étouffement par les médias, qu’ils soient français ou roumains, l’air de nous dire “il n’y a rien a voir par ici, tout est normal, circulez-s’il vous plaît”. Mais notre devoir, en tant que citoyens libre et démocrate, est de nous arrêter sur ces faits précis et de les dénoncer ; ou au moins d’y réfléchir.
Gabriel Attal, a réagit sur X, “c’est la victoire de la liberté”. La liberté et la démocratie européenne auront-elles vraiment gagné ?
Mais qui est Câlin Georgescu ?
Diplômé ingénieur agronome en 1986, il débute sa carrière à l’EELIF, un organisme d’étude des sols. Après la chute de Ceaușescu, il s’engage dans le militantisme écologique, devient président de l’Association roumaine des jeunes écologistes, travaille au ministère de l’Environnement, dirige le Centre national pour le développement durable et devient rapporteur spécial de l’ONU sur la gestion des déchets dangereux. En 2011, il est proposé Premier ministre par une coalition centre-gauche/centredroit. En 2020, il rejoint un parti d’extrême droite, qui le désigne à nouveau Premier ministre, avant de le quitter en 2022. C’est finalement en tant qu’indépendant qu’il se présente à la présidentielle en septembre 2024.
Sources :
• Conseil de l’Europe – Sur l’annulation des résultats des élections par les cours constitutionnelles
https://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdffile=CDL-PI(2025)001-f
• France 24 – En Roumanie, la montée d’un candidat antisystème inquiète Bruxelles
• BFMTV – Présidentielle roumaine : TikTok et influenceurs au cœur d’un scandale
• Le Figaro – Qui est Calin Georgescu, le candidat nationaliste accusé de liens avec la Russie ?
• Le Figaro – Élection présidentielle en Roumanie : l’Union européenne ouvre une enquête visant TikTok
• Euronews – Présidentielle roumaine : la Commission européenne ouvre une enquête contre TikTok
• 20 Minutes – Roumanie : La Cour constitutionnelle annule l’élection présidentielle sur fond d’ingérence russe
• TF1 Info – Roumanie : dans une décision historique, la Cour constitutionnelle annule l’élection présidentielle
• BFMTV – L’Europe renforce sa surveillance de TikTok après les élections controversées en Roumanie
• Reuters – Romania braces for wave of disinformation ahead of election second round
• The Guardian – Romanians vote in election that could propel ultranationalist Trump ally to power
• El País – El ultra George Simion gana la primera vuelta de las elecciones presidenciales en Rumania
• El País – Nuevo revés a Europa en Rumania
https://elpais.com/opinion/2025-05-06/nuevo-reves-a-europa-en-rumania.html
• Statista – Taux de variation de l’indice des prix à la consommation dans l’Union européenne
• Housing Rights Watch – Accès à la propriété, pauvreté et obstacles législatifs en Roumanie
• Fellah Trade – Données commerciales sur la Roumanie
https://www.fellah-trade.com/fr/export/carte-atlas/roumanie/echanger
• France 24 – Thieves! Romanians demand to vote after scrapped elections
• Franceinfo – Roumanie : les investisseurs étrangers se ruent sur les terres agricoles
• Cairn.info – La démocratie libérale
https://shs.cairn.info/la-democratie-liberale–9782130493884-page-731?lang=fr
• France Soir – Élections en Roumanie : irrégularités électorales, des morts voteraient
• Gabriel Attal – Réaction sur les élections roumaines
Félicitations à @NicusorDanRO pour sa très nette élection à la présidence roumaine ce soir ! 🇷🇴
— Gabriel Attal (@GabrielAttal) May 18, 2025
C’est la victoire de la liberté et de l’État de droit. La victoire d’un peuple souverain face à toutes les tentatives d’ingérence.
Ce résultat est un cinglant démenti supplémentaire… pic.twitter.com/jGs7EwGQcT
• Fondation Jean Jaurès – Roumanie : le séisme du premier tour de l’élection présidentielle
Roumanie : le séisme du premier tour de l’élection présidentielle