Non, Mme Le Pen, vous n’êtes pas victime d’une grave manipulation politique. Non, vous n’êtes pas la cible d’une tentative d’écartement de la course à la présidentielle. Non, vous n’êtes pas innocente. Mme Le Pen, vous êtes coupable. Coupable d’un détournement de plusieurs millions d’euros au profit de seulement 21 personnes. Mme Le Pen, vous avez dû vous égarer : l’Union Européenne n’a jamais eu pour prétention de financer l’extrême droite française. Vos soi-disant assistants parlementaires n’ont jamais mis un pied au Parlement Européen ; vous êtes coupable de détournements de fonds.
Votre contestation de notre Etat de droit n’en est que plus inquiétante. Le propre du populisme est d’affaiblir la démocratie en attaquant ses institutions. Quand Mme Le Pen, étant condamnée, répond par l’accusation de complot politique, ce n’est pas une simple contestation, c’est une stratégie. Décrédibiliser les juges, c’est incontestablement fragiliser l’Etat de droit, celui-là même qu’elle instrumentalise à tout va.
L’Etat de droit est quelque chose de très simple, et le politologue Gilles Finchelstein le décrit ainsi : toutes les autorités publiques, le gouvernement, le parlement, les juges, un maire, sont soumis au droit. Le législateur doit respecter la norme supérieure qu’est la Constitution. Le maire doit respecter la loi, les juges doit la faire appliquer. Marine Le Pen a donc tort pour Finchelstein : les juges n’ont fait qu’appliquer la loi, la peine d’inéligibilité avec exécution provisoire étant prévue par celle-ci. Mais elle n’est pas seulement prévue, elle est appliquée quotidiennement ! Ainsi, par exemple, quand un jugement rendu implique de la prison ferme, dans la moitié des cas cette peine est appliquée avec exécution provisoire. C’est-à-dire que l’accusé va bel et bien en prison alors même qu’il a fait appel.
Et dans le cadre de ce délit financier, le choix de l’exécution provisoire par la présidente de la Cour peut être expliqué par le jugement à lui seul. Il fait en effet mention d’une “conception narrative de la vérité” : à aucun moment, ni Marine Le Pen, ni ses collaborateurs n’ont reconnu les faits, malgré la multitude de preuves avancées contre eux. Le deuxième argument avancé est le trouble à l’ordre public démocratique : il apparaitrait en effet totalement déraisonné que Mme Le Pen puisse se présenter aux présidentielles en 2027 en ayant été condamnée à une peine d’inéligibilité. Cela aurait pu être le cas si l’exécution provisoire n’avait pas été appliquée, puisque le jugement en appel serait survenu après les élections.
Alors oui, pour l’ancien Premier Ministre Jean-Pierre Raffarin, l’Etat de droit est en danger et mis à mal par le Rassemblement National. Comme il le dit lui même, “on est pas obligé d’être d’accord [avec la loi], mais on est obligé de la respecter, parce que la loi c’est la majorité !”. On peut donc être naturellement en désaccord avec une loi, puisque la minorité a des droits dans notre pays. Mais en aucun cas le respect de la loi ne peut être remis en question. Ceux qui la défendent doivent être défendus et protégés, cela ne se discute pas : la loi doit être appliquée. En témoigne la peine d’inéligibilité d’Alain Juppé selon Raffarin, puisque les personnalités politiques d’alors s’en étaient tenues à ce principe très simple : “nous, responsables politiques, on ne commente pas une peine de justice”.
Par nécessité, une décision de justice peut avoir un impact politique. Cela avait été le cas avec Alain Juppé, mais également avec Dominique Strauss-Kahn. La justice ne choisit pas le calendrier politique, et Marine Le Pen devrait s’y résoudre : non, la justice française n’est pas politisée. Si un assassin doit être condamné la veille d’une élection, il le sera sans que quiconque s’y oppose. Que cette décision de justice ait un impact politique n’est donc en rien condamnable.
Et surtout, en cas de désaccord avec la loi, celle-ci peut être changée ! Tout un processus législatif permet cela, et il serait bon de rappeler aux cadres du RN que ce n’est pas à eux de décider d’une modification de la loi. Respectons pour une fois nos institutions, et cessons de tenter de les contourner par des rassemblements piètrement remplis place Vauban ! Cette tentative de mise au pas du pouvoir judiciaire, et par là aussi législatif, ne peut être qu’interprété comme les prémices d’une accession au pouvoir du Rassemblement National. Un pouvoir à la Trump, où tout ordre politique traditionnel sera remis en cause, et où la contestation du pouvoir ne peut trouver sa place sous peine de sanctions.