Cet article retranscrit uniquement les opinions et analyses des auteurs cités, et ne reflète en aucun cas la prise de position du rédacteur.
La lutte solidaire au fondement des acquis sociaux
“La Retraite ! A 60 ans ! On s’est battu.e.s pour la gagner ! On se battra pour la garder !”. Dans leur morceau de 2022 “La retraite” (album Das Kapital), le groupe de musique Les Vulves assassines reprend un slogan qui avait fait battre le pavé à la gauche en 1995 contre le projet de réforme du Premier Ministre Alain Juppé. Contre la réforme des retraites annoncées dans le programme d’Emmanuel Macron, candidat à sa réélection à l’Elysée, le mot d’ordre ressurgit. Le collectif féministe radical ne cache pas la couleur : “On s’arrêtera pas là / On veut entendre des cris de joie dans les parcs en été / Les cheveux gris au vent courant à poil vers le levant / Qu’ils puissent chanter et faire des rondes / Et réfléchir au nouveau monde”.
La lutte solidaire est au coeur des conquêtes sociales. Et elle s’inscrit dans un affrontement systématique avec le pouvoir, observe en 2024 l’historienne Mathilde Larrère dans On s’est battu.e.s pour les gagner. Histoire de la conquête des droits en France. “Les droits ne tombent pas tout rôtis des ministères. Derrière les droits, il y a des foules de femmes et d’hommes”. Ces droits, aujourd’hui menacés par ce même Etat qui prétend les avoir consacrés, doivent être défendus. Ils ne sont jamais définitivement acquis, rappelait Simone de Beauvoir : “n’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devez rester vigilantes votre vie durant”. Cette posture très combative est largement campée aujourd’hui par le syndicat de la gauche radicale SUD (Union syndicale Solidaires) qui proteste autant en 2024 contre le “spectacle du capital” des Jeux olympiques de Paris qui ont imposé leurs “diktats” aux salariés et aux habitants de Seine-Saint-Denis, que contre “l’accaparemment et la destruction des communs” que constituent le projet de méga-bassines à Sainte-Soline ou le prolongement de l’A69. Au coeur des engagements de SUD-Solidaires : la protestation véhémente contre le “racisme systémique et les violences policières”.
Tout le monde déteste-t-il la police ?
A mesure que la société se pacifie, la police accapare le monopole de la violence. Contemporaine de l’affirmation de l’Etat à l’époque moderne, la police remonte en France au XVIè siècle. La tendance à la rationalisation des dispositifs de sécurité ne cesse de se renforcer. La Révolution poursuit cet effort, comme en atteste la création de la gendarmerie en 1791, de la préfecture de police de Paris en 1800. La police est saisie dans une tension, entre tentation du maintien de l’ordre à tout prix et maîtrise de l’usage de la violence. La répression brutale par la police d’une manifestation illégale de soutiens au FLN algérien le 17 octobre 1961 et le “massacre de Charonne” (9 morts) du 8 février 1962, commandé par le Préfet de police de Paris Maurice Papon (collaborationniste notoire sous l’Occupation) attestent d’une culture de la violence.
A la fin de la décennie, alors que s’éloigne le souvenir de l’Occupation et de la guerre d’Algérie, la brutalité policière heurte jusqu’aux plus hauts fonctionnaires. Le 29 mai 1968, le Préfet de police Maurice Grimaud fait paraître dans Le Monde une lettre ouverte aux policiers. Il leur enseigne que “frapper un manifestant tombé à terre, c’est se frapper soi-même en apparaissant sous un jour qui atteint la fonction policière”.
Après 1968, le niveau de recrutement des policiers augmente sensiblement et la déontologie est intégrée dans leur formation. Cependant, la police traverse bien une crise de confiance avec les populations, notamment celles issues des quartiers sensibles. La confiance de la population française à l’égard de la police reste très volatile. En temps normal, elle se situe aux alentours de 66%, mais a pu atteindre 80% après les attentats de 2015, note l’historien Arnaud-Dominique Houte, dans son Histoire des polices en France (2020). Le chanteur anarchiste Renaud va alors jusqu’à chanter en 2016 J’ai embrassé un flic. “Fraternels et pacifiques”, les manifestants apprécient les “grands signes d’amitié et de solidarité” des snipers de la police sur les toits.
L’idylle est de courte durée. Depuis 2003 et sous l’impulsion de la politique initiée par le ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy qui supprime la police de proximité, doctrine mise en place par le Premier Ministre Lionel Jospin en 1998, la police nationale a considérablement rétracté le spectre de ses activités : la circulation, prévention des vols, la tranquilité publique ne sont plus réellement de son ressort. La police se concentre sur le maintien de l’ordre et la régulation des étrangers. Alors que la police avait été pensée pour assurer la paix et la justice, donc comme actrice d’une solidarité concrète, les missions des forces de l’ordre se concentrent désormais sur la sécurité. Au risque d’entrer dans une relation de force avec une partie de la population et de générer de l’inquiétude.
“Tout le monde déteste la police !”, le slogan scandé au printemps 2016 dans les manifestations contre la Loi relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours révèle la prégnance des mots d’ordre de l’anarcho-syndicalisme depuis Mai-68 (“CRS SS !”) et la force de l’engagement contre la répression policière. Les affaires Adama Traoré en 2016, Théo Luhaka en 2017 et Nahel Merzouk en 2023 réveillent la mémoire de Malik Oussekine. Ce jeune étudiant avait été battu à mort par les voltigeurs (policiers à moto) au moment de manifestations de la gauche contre le Projet de loi Devaquet, le 6 décembre 1986, et ce alors qu’il en était totalement extérieur. Ces événements avaient entraîné la démission du Ministre délégué à l’Enseignement supérieur. Le Haut-commissariat des Nations unies aux droits de l’homme observe qu’en France, de 2020 à 2022, 107 individus décèdent en garde à vue ou lors d’interventions policières. C’est plus que dans n’importe quel autre pays européens.
La République, un “gang policier” ? La thèse radicale de Geoffroy de Lagasnerie
Sous le vernis rassurant de l’Etat de droit règnerait un Etat policier répressif et raciste. L’affaire Adaùa Traoré révèlerait un “ordre racial”, soutient le philosophe Geoffroy de Lagasnerie qui publie en 2019 un livre avec Assa Traoré, Le Combat Adama (2019). L’économisme marxiste aurait conduit la gauche à négliger l’action de la police, qui, pourtant, organise l’ordre social, “cible un certain nombre de groupe pour les abattre”, ou tout du moins les éliminer socialement pour les faire basculer dans l’Etat répressif. Le sociologue assure que le “combat Adama” doit être pour le XXIè siècle ce que le marxisme a été au XIXè, l’espace d’invention d’une nouvelle politique qui balaie l’universalisme formel au profit d’une approche plus concrète, tenant compte de chacun sans sa situation géographique, sociale et ethnique.
L’école et la police s’entendraient pour priver d’accès à l’espace public, aux sphères économiques et culturelles favorisées des communautées racisées, contraintes dès lors à adopter des comportements déviants les reléguant aux espaces carcéraux. Les membres des minorités visibles subiraient une “gouvernementalité” différente de la majorité blanche, un rapport différent à la loi. L’Etat de droit respectueux des libertés individuelles des blancs muterait en Etat policier oppresseur lorsqu’il exercerait son autorité sur les communautés racisées.