ANALYSE – L’immigration, une réalité éternelle et un débat sans fin

Cet article retranscrit uniquement les opinions et analyses des auteurs cités, et ne reflète en aucun cas la prise de position du rédacteur.

Depuis Moïse guidant le peuple juif hors d’Egypte dans l’Ancien Testament ou Enée fuyant Troie en flammes pour la pénisule italienne dans l’Enéide de Virgile, les migrations s’imposent comme un motif récurrent de l’histoire humaine. L’Europe ne fait pas exception. De 1846 à 1932, 52 millions d’Européens ont migré hors d’Europe. Actuellement, le monde compte 260 millions de migrants. Depuis la fin de la guerre froide, l’Europe et l’Amérique du Nord s’imposent comme les destinations les plus prisées au monde. Au risque de susciter des crispations. Alors que les pays scandiaves ont longtemps fait figure de modèle d’hospitalité, depuis 2022 le gouvernement suédois, soutenu par les nationalistes, a amorcé une politique de net encadrement de sa politique d’accueil alors que la part d’immigrés dans la population a cru de 10% à 20% de 2000 à 2020.

“Immigré”, “réfugiés”, “clandestin”, une difficulté de définition

“Immigré” et “réfugié” ne sont pas synonymes. Le réfugié – invention dans le droit moderne de la constitution de 1793 – bénéficie d’une protection spécifique en droit international. Sous la Révplution, il est celui que sa lutte pour la liberté expose à la lame du tyran. La Convention de Genève de 1951 désigne par réfugié “toute personne craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, qui se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays”. C’est donc très précis et le statut de réfugié, attribué par une administration, l’OFPRA, reconnu juridiquement, permet de bénéficier pendant dix ans d’une carte de résident. Seulement 7% des migrants internationaux (soit 15 millions de personnes) sont des réfugiés.

“Migrant” est un terme beaucoup plus vague. Le Haut conseil à l’intégration définit l’immigré comme la personne née à l’étranger et résidant en France (la personne peut acquérir ensuite la nationalité française, mais reste immigrée). Migre celui qui change de pays pour une quelconque raison et pour une durée indéterminée (au moins un an, pour l’ONU et l’UE). Selon l’agence européenne Frontex, 1,3 million de demandes d’asile (indispensables pour obtenir le statut de réfugié) ont été déposées dans l’UE en 2023, soit une augmentation de près de 9% sur un an. Plus de 60% étaient poussés par le mal-développement, davantage que par la guerre et les violences. En France, 37% des immigrés sont français.

Le “délit de solidarité” sous le feu des critiques

L’agriculteur Cédric Herrou était poursuivi pour avoir, en 2016, porté assistance à des clandestins qu’il avait nourris, hébergés et transportés. L’article L. 662-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) réprime l’assistance portée aux migrants en situation illégale, ce qui a été abusivement appelé “le délit de solidarité” mais porte en toute rigueur le nom de délit d’aide au séjour irrégulier. Le délit date de 1938 et doit êtte compris comme une application du principe de la souveraineté nationale qui subordonne l’entrée et la circulation d’étrangers (non-européens) sur le sol français à une autorisation. Mais Cédric Herrou a soulevé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) en prétendant que les dispositions du CESEDA contrariaient le principe de fraternité de la devise républicaine entériné à l’article 2 de la Constitution de 1958. Certes, mais la fraternité – et c’est déjà le sens que lui donnaient les constituants de 1791 – concerne les membres d’une même famille puis, par extension, dans le champ politique, les membres d’une même communauté.

Pourtant, dans sa décision du 6 juillet 2018, le Conseil constitutionnel donne raison à Cédric Herrou au prix d’une interprétation extensive du principe de fraternité, dont le Conseil étend le champ à tout “acte d’aide apportée dans un but humanitaire”. Les neuf sages poursuivent en disposant que la répression de l’aide au séjour irrégulier est contraire au principe de la fraternité si elle procède d’une démarche humanitaire et désintéressée. Principe de fraternité qui vaut immunité. La rue Montpensier valide “la liberté d’aider autrui, dans un but humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national”.

Le législateur s’est a posteriori aligné, avec la loi du 10 septembre 2018 Pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie. L’article 662-4 du CESEDA précise désormais que ne peut donner lieu à une poursuite pénale sur le fondement de l’article 622-1 l’aide au séjour irrégulier d’un étranger “lorsque l’acte reproché n’a donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte” et était destiné à assurer la dignité de la personne. Ainsi se trouve restauré le juste équilibre, estime le Conseil Constitutionnel, entre l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et le principe de fraternité.

Le 17 novembre 2023, le Président Emmanuel Macron annonçait finalement, lors des “rencontres de Saint-Denis”, renoncer à organiser le référendum sur l’immigration qu’il avait envisagé, alors que, selon un sondage CSA, 70% des Français le réclamaient. L’immigration s’impose comme un sujet essentiel dans un pays marqué par une crise démographique (1,8 enfant par femme), économique (l’Insee table en 2025 sur une croissance 0,2% du PIB) et politique. Comment articuler l’universalisme, proclamé en 1789 dans la Déclaration des droits de l’homme intégrée au Bloc de constitutionnalité, à la circonscription nécessaire d’une communauté civique réunie autour d’un même projet politique ?

De 1981, de la loi Defferre à la Loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration du 26 janvier 2024, le législateur s’est prononcé une quarantaine de fois sur l’immigration. Sans apaiser les tensions tant les associations, les partis politiques et le gouvernement se heurtent sur la question de l’accueil ou de l’expulsion des étrangers. Sans y intégrer les listes Ensemble !, les formations politiques de droite, favorables à une restriction de l’immigration, totalisent plus de 45% des votes exprimés au premier tour des élections législatives de 2024.

En face, des associations souvent marquées à gauche, comme le GISTI (Groupe d’information et de soutien des immigrés), prétendent lutter contre une politique publique censément diplomatique. Fondé en 1972 par de jeunes énarques soucieux d’acclimater leur mission d’intérêt général aux préoccupations sociales qui motivent leur engagement, la charte du GISTI assure qu’il repose sur “la rencontre entre des travailleurs sociaux, des militants associatifs en contact régulier avec des populations étrangères et des juristes. Cette double approche, à la fois concrète et juridique, fait la principale originalité du groupe”.

Selon l’historienne (et membre du GISTI) Michelle Zancarini-Fournel, l’immigré comme acteur politique aurait été mis en lumière après la Deuxième Guerre mondiale, une première fois en 1964 lors de débats à l’Assemblée nationale sur les bidonvilles et les quelque trois millions d’individus qui s’y masseraient. Puis en 1968, lors de la participation d’immigrés aux grèves ouvrières sur le site de Renault-Billancourt. Dans son Histoire de l’immigration en France (2001), Marie-Claude Blanc-Chaléard met en exergue le paradoxe des années 1970 : c’est lorsque la situation des immigrés s’améliore significativement que ceux-ci sont regardés comme une menace dans la France de la Vème République. A partir de 1977, le palier du million de chômeurs est franchi. La France accueille alors 3,4 millions d’étrangers : la situation sociale se tend alors que les raccourcis se multiplient. En 1976, Jacques Chirac déclare à TF1 : “Un pays dans lequel il y a près d’un million de chômeurs, mais où il y a deux millions d’immigrés, n’est pas un pays dans lequel le problème de l’emploi est insoluble”. Le Front National simpose brutalement sur les murs son équation : “Un million de chômeurs = un million d’immigrés de trop”.

“Il n’y a pas de mauvais chiens” ? : l’angoisse sécuritaire dans les cités

Dans les années 1970, l’immigration devient une préoccupation majeure. Rend compte de ce malaise grandissant le film d’Alain Jessua, Les Chiens (1979). Dans la ville de Marne-la-Vallée, en banlieue parisienne, le Docteur Henri Ferret (Victor Lanoux) installe son cabinet. Il s’étonne qu’autant de patients souffrent de morsures, mais aussi de la tranquilité des rues désertes le soir. Des patrouilles de citoyens accompagnés de chiens de défense circulent dans la ville, se vantent d’en avoir chassé les immigrés – une communauté de Sénégalais vivant terrifiés en autarcie – et cherchent désormais à mettre au pas les jeunes blousons noirs.

Les initiatives de ces vigilantes français sont dues à Morel (Gérard Depardieu), un éleveur de chiens ambitieux qui joue sur la peur de ses concitoyens pour leur vendre des animaux de combat avant de briguer la mairie. “Il n’y a pas de mauvais chiens, que des mauvais maîtres”, récite Morel pour se dédouaner, déclinant ainsi la célèbre formule de Victor Hugo, qui ouvre également le film Les Misérables (2019) de Ladj Ly.

Le propos est pourtant une mise en abyme saisissante : le mauvais maître, c’est lui, le démagogue, qui excite la meute trop effrayée pour comprendre qu’elle cède à la violence primale. Les chiens du titre, sont-ce les canidés, victimes de la perversité humaine ? Ceux qui aboient et qui mordent par peur et esprit grégaire pour éliminer toute différence, de couleur de peau, de culture, ont finalement un visage sinistrement humain.

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